Malene Rydahl : “l’empathie c’est voir, comprendre et accepter l’autre”

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Malene Rydahl est autrice, conférencière et coach. D’origine Danoise, elle était présente lors du déplacement du Ministre de l’éducation, Gabriel Attal au Danemark pour observer les cours d’empathie dans les écoles et s’en inspirer. Malene Rydahl, qui a notamment publié le bestseller « Heureux comme un Danois », publiera en janvier 2024 un ouvrage sur l’empathie. Nous l’avons interrogé pour mieux comprendre comment fonctionnent ces enseignements et ce que l’on peut en espérer en France.

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les cours d’empathie au Danemark ?

Le cours d’empathie à la danoise, c’est l’apprentissage de l’empathie tout au long de la scolarité d’un enfant. Il y a eu au Danemark, en 1975 une réforme qui introduit ce qu’ on appelle le cours d’empathie où l’objet est de développer l’intelligence émotionnelle des enfants. Pour le système scolaire danois c’est : comment créer une communauté ? comment vivre ensemble ? L’outil est l’empathie : se connaître, pouvoir exprimer une émotion, pouvoir se mettre à la place de l’autre. Donc c’est un outil pour pouvoir mieux vivre ensemble en société, se sentir bien avec soi-même. Il y a eu une évolution en 2014, avec des cours de bien-être, où l’ingrédient principal reste cette intelligence émotionnelle. Comment fait on fonctionner une communauté ? une classe d’école ? quelle est ma relation à moi-même ? ma relation à l’autre ? Tout au long de la scolarité danoise ce qui est presque aussi important que cette notion d’empathie, c’est la notion de « sécurité psychologique ». Ce terme a été plus ou moins défini par une professeure de Harvard, Amy Edmondson.  C’est le sentiment de pouvoir poser une question, émettre une idée ou tenter une réponse à l’école et se tromper, être en échec sans avoir peur d’être moqué, jugé par les autres. Dans un système scolaire, cela donne aux enfants un sentiment de confiance en soi mais aussi de légitimité. On valorise dès le plus jeune âge, pas uniquement les maths ou les langues mais aussi les talents créatifs, mécaniques, manuels.

Gabriel Attal dans une classe au Danemark observant les cours d’empathie en présence de l’autrice et conférencière Malene Rydahl

Vous avez accompagné Gabriel Attal dans une classe danoise, quels sont les exercices demandés aux enfants, comment cela se passe concrètement ?

On a visité deux écoles, dont une école danoise où le programme « Fri for Mobberi » ( « libéré du harcèlement ») a été mis en place par la princesse Marie de Danemark, qui a développé cette initiative à travers sa fondation. Les petits en maternelle travaillent autour des émotions : le respect, comment cela s’exprime ? Ils donnent des exemples de situations où les enfants doivent chercher l’émotion qu’une situation peut provoquer : la déception, la colère, la tristesse et ils doivent décrire quelle est la pensée derrière : je suis triste parce que…Arriver à définir ce qui se passe, à comprendre…Le manque de compréhension à l’école peut effectivement faire l’objet de harcèlement, de manque de confiance en soi…Plus tard dans la société, l’incapacité de comprendre ses propres émotions est un vrai problème dans notre fonctionnement d’être humain pour vivre ensemble. Ce sont donc des petits exercices pour de jeunes enfants : travailler autour de certaines valeurs, de communauté, de bienveillance. Il y a une peluche, un nounours qu’ils peuvent donner à l’autre lorsqu’il est triste. C’est développer un sentiment de l’autre, l’empathie est une forme de compassion, d’entraide. Ils s’entraînent à cela dans des petits jeux de rôles. Il y a des exercices où les enfants se massent le dos, se grattent le dos. Des études ont montré qu’on ne peut pas se moquer d’un enfant quand on l’a touché, lorsque l’on a eu un contact physique ou manuel avec un autre enfant. C’est beaucoup plus difficile de se moquer, de dire des méchancetés. Ce programme a été lancé dans 60 % des écoles danoises avec des résultats importants et très positifs et réduit vraiment le harcèlement à l’école.

La France est-elle prête à cette transformation ? ces cours ne risquent ils pas d’être moqués ?

Oui la France est prête. La preuve, c’est que Gabriel Attal a pris cette mesure ( les cours d’empathie seront mis en place dans les écoles à la rentrée 2024, ndlr) , et je pense que cette initiative est quand même assez soutenue par le grand public, pour réduire le harcèlement. Je pense que tout le monde peut se joindre à cette cause là. Est-ce que ça sera difficile ? est-ce que le chemin sera long et est-ce qu’il y a aura des résistances ? oui forcément. Mais la France est prête, les gens sont prêts à l’entendre, à essayer . Il y a forcément des ajustements. Par exemple, j’expérimente cela à Paris dans un collège, mais les parents eux n’ont pas suivis ces cours, donc cela peut créer des décalages.

Qui peut mettre cela en place? Faut-il être des compétences et des formations psychologiques complexes, ou est-ce à la portée des institutrices et instituteurs?

Si l’on prend le programme Danois, cela est mis en place par les enseignants qui travaillent avec la petite enfance, parce que c’est très simples. Tous les enseignants qui sont en France aujourd’hui et qui ont envie, peuvent se former aux compétences psychosociales et peuvent facilement transmettre aux enfants. Apprendre à connaître ses émotions, l’univers des émotions, les exprimer les exercices sont relativement simples et tant mieux. C’est juste une question de gestion des postures, il faut peut-être gagner une certaine expérience certes, mais cela n’est pas très compliqué. Donner des moyens de se sentir mieux avec soi-même, avoir confiance en soi et puis aussi pouvoir connaître et accepter les autres et donc faire partie d’une communauté. Les enfants auront une charge mentale moins lourde et cela se ressentira en termes de résultats scolaires. Cela peut vraiment avoir un effet très positif.

Chez les adultes, on parle beaucoup des softskills, notamment dans les entreprises. L’empathie en fait partie. Vous accompagnez de nombreux dirigeants ; pensez-vous que cela va avoir des conséquences positives chez les adultes et dans le monde du travail?

Il y a un vrai déficit d’empathie de manière générale chez les adultes et dans les entreprises: des dysfonctionnements, des incompréhensions, des malentendus, des conflits . Je donne des cours à Sciences-Po à Paris de “bien-être et performance”, dont un des ingrédients se concentre autour de la connaissance de soi et de la compréhension de l’autre. C’est donc l’empathie, chez l’adulte : c’est la compréhension de soi, comprendre ses propres émotions, ses propres valeurs, comment on navigue dans la vie pour ne pas se confondre avec l’autre ? L’empathie : c’est voir, comprendre et accepter l’autre.

 

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