Aurore Bergé : “des femmes ont peur de mettre des enfants au monde avec un risque de mort professionnelle”

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Aurore Bergé, Ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que de la lutte contre les discriminations s’exprime, en exclusivité pour The Women’s Voices, à l’occasion de la journée nationale de lutte contre le sexisme, au micro de Cynthia Illouz. Extrait de l’entretien disponible en podcast.

Selon les résultats du rapport HCE : 9 femmes sur 10 déclarent avoir subi une situation sexiste. Quelles sont les situations sexistes que vous avez subies Aurore Bergé ?

C’est la première année qu’une journée nationale de mobilisation contre le sexisme est organisée. On croyait que le sexisme appartenait à un temps un peu ancien et en vérité, c’est malheureusement très actuel. Des femmes sont dénigrées parce qu’elles sont des femmes, quand d’autres sont mises de côté et/ou subissent encore des stéréotypes liées à leur sexe. C’est tout cela qu’il faut combattre.

Il suffit de regarder sur certains réseaux sociaux. Moi aussi, je l’ai vécu, je pense comme pour toutes les femmes. Ce n’est pas spécifiquement dans la vie politique d’ailleurs. Il y a le phénomène de mansplanning qui est quand même assez spectaculaire. Parfois dans la vie politique ou médiatique, vous avez plusieurs hommes ou femmes politiques autour d’une même table et la parole est donnée plus spontanément aux hommes plus qu’aux femmes.

Mon père, qui est un grand féministe, m’a dit cette phrase qui continue de me servir dans ma vie politique. Il disait “de toute façon, la parole ça ne se donne pas, ça se prend”.

Le président de la République, a parlé de “réarmement démographique”. Dans un même temps, vous travaillez sur l’inscription de l’IVG dans la Constitution… Quelle est la position du gouvernement sur la question de la liberté des femmes à avoir des enfants?

La position elle est très claire: c’est le respect strict de la liberté des femmes. Aujourd’hui, on voit bien que cette liberté est entravée, notamment sur la question de la parentalité, le fait de devenir parent, et en particulier devenir mère. C’est un choix respectable que de vouloir devenir mère, comme de ne pas vouloir l’être.

Et malheureusement, des femmes veulent devenir mères mais n’y arrivent pas. Et pourquoi ? C’est parce que finalement, elles ont eu peur de mettre au monde un enfant avec le risque ensuite d’une mort professionnelle. C’est cela qui devrait révolter les féministes, de se dire qu’on a, en France, en 2024, des femmes qui veulent avoir des enfants et qui préfèrent attendre, reporter, repousser voire renoncer à ce désir parce que ce serait leur mort professionnelle.

C’est cela notre premier enjeu. C’est d’abord un enjeu d’égalité économique et d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Les femmes doivent se sentir libres de leur choix. Il ne faut pas qu’elles pensent qu’à 25, 30, ou 35 ans, elles n’ont pas intérêt à avoir d’enfant pour préserver leur carrière.

Je ne veux pas qu’une seule femme entende ce type de phrase ou se l’impose à elle-même. De la manière, je ne veux pas que les femmes se sentent coupables de quoi que ce soit. Elles sont libres d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir. Elles sont libres, quand elles sont enceintes, d’aller au bout de ce projet ou d’avoir accès à l’IVG.

C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, on va dès cette semaine, voter avec les députés l’intégration de l’IVG à la constitution.

Le gouvernement réfléchit à un bilan d’infertilité aux alentours de 25 ans. Pourquoi ce projet ?

L’infertilité c’est d’abord beaucoup de douleur. C’est la douleur de femmes, de couples, qui souhaitent avoir un enfant et qui n’y arrivent pas. C’est un couple sur 4 dans notre pays, qui espèrent, essayent et n’y arrivent pas.

Pourquoi il y a de l’infertilité ? Il y a 1000 et une causes. Il y a des causes de santé publique et des causes environnementales sur lesquelles il faut continuer à travailler. Mais bien souvent, on en revient en à l’enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il y a une cause de l’infertilité qui est que les femmes, ont des enfants de plus en plus tard.

Quand c’est un souhait, c’est totalement respectable. Mais pour beaucoup d’entre elles, elles ont des enfants tard parce que, encore une fois, elles se disent qu’elles n’ont pas intérêt à avoir un enfant tôt au risque de mettre en péril leur carrière et leur vie professionnelle. C’est un tabou sur la question de l’infertilité qui doit sortir du placard.

L’infertilité, qu’elle soit féminine ou masculine, parce qu’elle frappe d’ailleurs en ce moment plus durement les hommes que les femmes,  est un vrai enjeu de santé publique. Je pense qu’aujourd’hui, beaucoup de français sont malheureusement concernés et ne savent même pas qui en parler.

Beaucoup de femmes n’arrivent plus à voir un gynécologue et qui, par conséquent, ne savent pas à qui demander conseil ou assistance. Il y a aussi un manque de prévention en termes de santé publique. Je pense que c’est notre manière d’aborder le sujet, aujourd’hui, car il prend de l’ampleur

Près d’1/4 des hommes de 25 à 34 ans pensent qu’il faut parfois être violent à l’égard des femmes pour se faire respecter et 64% des hommes de 25/34 ans également disent imiter la violence vue dans de la pornographie. Comment faire pour répondre à toutes ces terribles informations ?

Tout d’abord, nous étions nombreux à penser qu’à l’échelle de nos générations, tout ça c’était fini. Pendant longtemps, nous nous sommes bercés d’illusions en disant, que c’était un phénomène générationnel. C’est faux ! La violence n’a pas d’âge. Il existe des hommes plus âgés qui n’ont pas été violent avec leur compagne ou leur épouse, ainsi que des jeunes hommes qui l’ont déjà été.

La violence n’a pas disparu, loin de là. Nous pouvons le constater en voyant le nombre de faits des violences faites aux femmes, de féminicides… Même si cela commence à diminuer, la violence persiste. C’est un phénomène de société et non de génération.
Quand je rencontre des femmes qui ont été victimes de violence, souvent, elles ont eu du mal et mis beaucoup de temps à réaliser que ce qu’elles vivaient c’était de la violence.

Parce que oui, on peut être victime de la violence sans frapper, sans cogner… La violence c’est aussi rabaisser, humilier, faire couper son/sa partenaire de son intimité, de son réseau professionnel et/ou familial/amical. La violence c’est être sous emprise.

Pour ce qui est de l’industrie pornographique, nous devons protéger d’abord nos enfants. C’est-à-dire qu’on a aujourd’hui beaucoup trop de nos enfants dont la première expérience, le premier lien qu’ils vont avoir avec la sexualité, c’est la pornographie. Or dans l’industrie pornographique, les scènes de violence et de violences extrêmes, d’humiliation voire même de barbarie à l’égard des femmes, existent.

Si votre premier rapport à la sexualité, c’est d’abord la violence qui s’exerce les femmes, toute votre sexualité est déréglée. On considère alors que c’est la norme et toute l’éducation affective et sexuelle en est affectée.

Si les familles n’évoquent pas ces sujets, il faut que l’État puisse rappeler l’intégrité du corps : personne n’a le droit d’imposer quoi que ce soit à l’autre sans son consentement. Il faut rappeler ce qu’est l’expression de ce consentement et encore une fois, il est question de s’attaquer à des inégalités aussi à la racine dès la petite enfance.

75% des femmes n’imaginent pas aller dans des carrières scientifiques ou techniques. Les femmes sont orientées vers les métiers du soin, de l’éducation: moins bien payés. Comment changer les choses concrètement ?

Lorsque l’on regarde le collège-lycée, les filles et adolescentes réussissent mieux. Mais progressivement, il y a moins de femmes en haut de la pyramide. Prenons l’exemple des ingénieurs, pour notre intelligence artificielle, nous avons besoin d’avoir initié du monde dans ces métiers. Si il n’y a pas de femmes, le risque est que ces stéréotypes de genre se poursuivent.

C’est toute la société qui va être complètement immergée par ces enjeux scientifiques. C’est vraiment la lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge qui est la clé. C’est la manière avec laquelle on s’adresse aux petits garçons et aux petites filles dans une salle de classe par exemple. Il faut arrêter avec ces comportements genrés, en se disant qu’il y a des qualités intrinsèquement féminines et des défauts intrinsèquement féminins ou inversement.

Ces comportement prédestinent à des métiers. Mon premier combat c’est vraiment l’enjeu de l’égalité professionnelle. C’est ce qui va déterminer le reste de votre vie et qui peut vous conduire à une forme d’emprise si vous êtes une femme bien moins rémunérée que votre conjoint ou mari. Le point de départ évident c’est la question de l’égalité économique, de l’indépendance et de l’autonomie économique des femmes : une chose que l’on doit réussir à acquérir.

#5000VOICES est une initiative rendue possible grâce à nos partenaires EngieAccor, La Fondation RAJA, Aurel Bgc, Veolia et Mastercard.

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