Le Sénat s’est prononcé pour une interdiction très large de l’écriture inclusive après des discussions animées, encouragées par le président Emmanuel Macron qui a dit craindre de voir la langue française “céder aux airs du temps”.
Cette prise à partie fait réagir la sénatrice Laurence Rossignol, membre du parti Socialiste, Écologiste et Républicain. La militante féministe a pointé du doigt l’hostilité des politiques sur la question. “Ce n’est pas l’écriture inclusive, c’est la peur que vous avez de l’indifférenciation des sexes. C’est une peur anthropologique de Bolsonaro à Trump et à Poutine, leurs mêmes obsessions: les transgenres, les homosexuels et les féministes. Et l’écriture inclusive, elle concentre tout ça dans votre esprit. Reconnaissez-le, votre hostilité à un certain nombre d’évolutions de la société qui sont, je vous le concède, vertigineuse mais que vous ne réglerait certainement pas par interdiction.”
🔏“Dans cette langue, le masculin fait le neutre” a déclaré le président @EmmanuelMacron au sujet de l’écriture inclusive.
📙 Suite à ces déclarations , le Sénat s’est prononcé pour interdire l'écriture inclusive, suscitant des débats animés et des critiques de la droite, qui… pic.twitter.com/68BDtojvYr
— The Women’s Voices (@TheWomensVoice1) November 2, 2023
D’autres écologistes et socialistes ont été indignés: “La droite sénatoriale nous inflige ses lubies rétrogrades et réactionnaires”, s’est offusqué le sénateur socialiste Yan Chantrel. “Vouloir figer la langue française, c’est la faire mourir”. “Quand on parle de l’écriture inclusive, on parle du chemin vers l’égalité femmes-hommes”, a plaidé l’écologiste Mathilde Ollivier.
Proposition adoptée à 221 voix contre 82
Malgré leur détermination, les sénateurs ont adopté à 221 voix contre 82 une proposition de loi de la droite visant à “protéger” les français “des dérives de l’écriture dite inclusive”.
Au jour de l’inauguration par le président de la République de la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts, l’opinion du président a fait écho aux travaux de la chambre haute.
La loi prévoit donc de bannir cette pratique “dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français”, comme les modes d’emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d’entreprise.
Sont également visés les actes juridiques, qui seraient alors considérés comme irrecevables ou nuls si le texte venait à devenir loi, ce que rien n’assure actuellement car son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale est loin d’être garantie.
“Dans cette langue, le masculin fait le neutre”
Dans l’Aisne, Emmanuel Macron avait donné le ton à la mi-journée, défendant “les fondements” de la langue, “les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe” et invitant à “ne pas céder aux airs du temps”. “Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n’a pas besoin d’ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible”, avait ajouté le chef de l’État dans une offensive peu masquée envers le fameux “point médian”, comme dans “sénat.rice.s”, l’un des pans de l’écriture inclusive.
A lire aussi : IVG dans la Constitution: Emmanuel Macron annonce le projet de loi
Le texte de la sénatrice Les Républicains Pascale Gruny s’y attaque frontalement mais il va plus loin : il interdit aussi les “mots grammaticaux” constituant des néologismes tels que “iel”, une contraction de “il” et “elle”, ou “celleux”, contraction de “celles” et “ceux”.
“L’écriture inclusive affaiblit la langue française en la rendant illisible, imprononçable et impossible à enseigner”, a attaqué Mme Gruny, son collègue Etienne Blanc dénonçant lui une “idéologie mortifère”.
La droite contre la gauche
Ce débat clivant a dépassé le Palais du Luxembourg. La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a expliqué sur le réseau X (ex-Twitter) vouloir “protéger” la langue française “contre le wokisme dont l’écriture inclusive est une sinistre et grotesque manifestation”. Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, a rétorqué que “La langue française est une créolisation réussie” et qu’elle “appartient à ceux qui la parlent !”
La ministre de la Culture Rima Abdul-Malak n’a pas réellement pris parti. Elle a rendu un “avis de sagesse” sur le texte du Sénat, ni favorable ni défavorable, rappelant que deux circulaires encadrent déjà cette pratique dans les textes publiés au Journal officiel (circulaire d’Edouard Philippe en 2017) et dans l’enseignement (circulaire de Jean-Michel Blanquer en 2021).
Les débats ont mis en lumière plusieurs désaccords. Par exemple, la droite soutient que l’utilisation de la “double flexion” serait toujours possible, permettant ainsi de décliner le féminin d’un mot, comme “les sénateurs et les sénatrices” au lieu de simplement “les sénateurs”. Cependant, cette position est contestée par la gauche. Monsieur Chantrel a également estimé que le libellé actuel du texte rendrait obsolètes toutes les pièces d’identité émises sous l’ancien format, où figurait la mention “né(e) le” pour la date de naissance. Cependant, cette affirmation a été démentie par la droite.
Poursuivre la lecture >> Avortement en France : toujours pas d’inscription dans la Constitution