La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Pologne pour avoir violé le droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision fait suite à la plainte d’une femme polonaise qui avait dû se rendre aux Pays-Bas en 2020 pour interrompre une grossesse atteinte de trisomie, faute de pouvoir avorter en toute sécurité dans son propre pays en raison d’un vide juridique.
L’affaire remonte à l’automne 2020, lorsque la Cour constitutionnelle polonaise a jugé anticonstitutionnelle la disposition autorisant l’avortement en cas d’anomalie fœtale. Bien que la loi de 1993 le permette toujours officiellement jusqu’en janvier 2021, la décision de la Cour constitutionnelle a créé un flou législatif total : les médecins, craignant des poursuites, ont cessé de pratiquer ces interventions. Enceinte de 15 semaines à ce moment-là, la requérante s’est retrouvée dans une situation d’incertitude extrême, la poussant à voyager à l’étranger pour obtenir un soin légal.
Pour les juges européens, cette incertitude « directement liée à l’évolution de la législation » constitue une ingérence illégitime dans la vie privée de la jeune femme. La CEDH souligne qu’entre le verdict du 22 octobre 2020 et sa publication tardive en janvier 2021, aucune mesure transitoire n’a été mise en place. La pandémie de Covid-19, qui rendait les déplacements encore plus difficiles, a aggravé l’atteinte à ses droits.
La Pologne devra verser 1 495 euros de dommages matériels et 15 000 euros de dommages moraux à la requérante.
Une décision saluée par les ONG qui dénoncent une crise du droit à l’avortement en Pologne
Les organisations de défense des droits des femmes ont immédiatement salué cette condamnation. Pour Natalia Broniarczyk, du collectif Aborcyjny Dream Team, « c’est un jugement juste, le seul possible ». Elle rappelle qu’« au moins sept femmes par jour quittent la Pologne pour avorter à l’étranger » depuis la décision de la Cour constitutionnelle.
Même son de cloche du côté de SAFE (Supporting Abortions For Everyone) : sa directrice, Mara Clarke, estime que « cette décision confirme l’ampleur du problème, mais les femmes restent sans solutions concrètes », soulignant la difficulté à financer les déplacements vers l’étranger.
Les chiffres officiels sont révélateurs : moins de 900 avortements ont été réalisés dans les hôpitaux polonais en 2024, pour un pays de 38 millions d’habitants. En parallèle, la criminalisation de l’aide à l’avortement rend le soutien aux femmes encore plus difficile.
Cette nouvelle condamnation n’est pas un cas isolé : la CEDH avait déjà sanctionné Varsovie en 2023 dans une affaire comparable. La Pologne reste l’un des pays européens avec les restrictions les plus sévères sur l’IVG.
Un contexte politique tendu malgré un gouvernement pro-européen
En 2023, quatre propositions de loi visant à libéraliser l’avortement ont été déposées au Parlement, après l’arrivée au pouvoir d’une coalition pro-européenne. Elles allaient de la simple annulation de la décision de 2020 à la légalisation de l’IVG jusqu’à 12 semaines, voire 24 semaines en cas de malformations.
Mais toutes ont été bloquées, notamment en raison de l’opposition du président conservateur-nationaliste Karol Nawrocki, qui a promis d’opposer son veto à toute réforme élargissant l’accès à l’avortement.
Après la décision de la CEDH, le porte-parole de la gauche, Lukasz Michnik, a toutefois estimé que ce jugement pourrait “convaincre les partenaires sceptiques de décriminaliser enfin l’avortement”.
Basée à Strasbourg, la CEDH rappelle que les 46 États signataires sont tenus de respecter la Convention européenne des droits de l’homme — et donc de garantir un accès réel aux droits reproductifs.
