C’est une avancée historique saluée par les associations féministes. Le Parlement français adopte définitivement une loi réhabilitant les femmes condamnées pour avortement avant la promulgation de la loi Veil en 1975. Voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, après une adoption identique au Sénat, ce texte marque une étape mémorielle et politique majeure dans l’histoire des droits des femmes en France.
Une reconnaissance officielle d’une injustice d’État
La loi reconnaît explicitement que l’application, par l’État, des textes pénalisant le recours, la pratique, l’accès ou même l’information sur l’avortement a constitué une atteinte grave aux droits fondamentaux des femmes. Elle évoque sans détour les conséquences de ces législations : des souffrances physiques et morales, mais aussi de nombreux décès liés aux avortements clandestins.
Entre 1870 et la dépénalisation de l’IVG en 1975, plus de 11 660 personnes ont été condamnées pour avoir pratiqué ou eu recours à un avortement, selon les estimations officielles. Derrière ces chiffres, des trajectoires de vie brisées, des corps meurtris, des existences placées sous le sceau de la honte et de la répression.
Une loi portée par l’héritage féministe
La proposition de loi a été portée par Laurence Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes et sénatrice du Val-de-Marne. Adoptée avec le soutien du gouvernement, elle s’inscrit clairement dans l’héritage des combats féministes menés depuis les années 1960 et 1970, notamment par les signataires du Manifeste des 343, ces femmes qui, en 1971, avaient publiquement déclaré avoir avorté.
La présence, en tribune, de Claudine Monteil — l’une des signataires de ce manifeste historique — a donné une dimension hautement symbolique aux débats parlementaires. Un demi-siècle plus tard, la République reconnaît enfin l’injustice subie par ces femmes courageuses.
« Un acte de justice », selon Aurore Bergé
La ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes, Aurore Bergé, a salué un « acte de justice envers ces milliers de vies brisées par des lois injustes ». Dans un discours personnel et politique, elle a évoqué l’avortement de sa propre mère, rappelant que cette histoire traverse des générations entières de femmes.
Mais au-delà de la réparation symbolique, la ministre a insisté sur la portée contemporaine du texte : « Nous avons le devoir d’alerter », a-t-elle déclaré, alors que les droits reproductifs des femmes sont aujourd’hui remis en cause dans de nombreux pays à travers le monde.
Une commission pour transmettre la mémoire
La loi prévoit la création d’une commission de reconnaissance du préjudice subi par les femmes ayant avorté avant 1975. Sa mission : recueillir, documenter et transmettre la mémoire de ces avortements clandestins et de celles et ceux qui y ont participé ou aidé.
Cette commission sera composée de professionnels de santé, de magistrats, de chercheurs spécialisés et de représentants du monde associatif. Elle pourra mener des travaux de recherche pour mieux identifier les victimes et approfondir la connaissance de cette période sombre de l’histoire française.
Pas de réparations financières… pour l’instant
Le texte ne prévoit cependant aucune indemnisation financière. Un choix assumé par Laurence Rossignol, qui a souligné la complexité des situations et la diversité des acteurs impliqués à l’époque.
Ce point a néanmoins suscité des critiques, notamment de la part de députées écologistes et de La France insoumise, qui estiment que la question de la réparation ne peut être totalement évacuée. À l’inverse, des élus de droite et d’extrême droite se sont félicités de l’absence de volet indemnitaire.
Aurore Bergé a rappelé que toutes les femmes concernées n’avaient pas été condamnées pénalement, mais a laissé ouverte la possibilité que les travaux de la commission puissent, à terme, conduire à une réflexion sur des formes de réparation.
Un message politique fort, en France et en Europe
L’adoption de cette loi intervient cinquante ans après la loi Veil, dans un contexte international marqué par des reculs inquiétants du droit à l’avortement. La Fondation des femmes a salué une avancée historique, affirmant que la France envoie « un message clair : personne ne devrait jamais être condamné pour avortement ».
L’association Choisir la cause des femmes, cofondée par Gisèle Halimi, a toutefois rappelé que l’accès à l’IVG reste imparfait en France : près de 20 % des femmes doivent encore se déplacer pour avorter.
Enfin, plusieurs députés ont souligné la convergence de ce vote avec une résolution adoptée par le Parlement européen exhortant les États membres à garantir un accès effectif à des avortements sûrs sur l’ensemble du continent.
