« J’ai été broyée une deuxième fois », témoigne Giulia Foïs, journaliste et victime de viol, lors d’une table ronde organisé par la délégation aux droits des femmes à l’Assemblée Nationale, réunissant des professionnels et des représentants associatifs sur la réponse judiciaire aux violences sexistes et sexuelles. La journaliste explique comment, après l’acquittement de son violeur, la justice l’a « maltraitée » et lui a infligé un second traumatisme.
Les victimes de viol « maltraitées » par la justice
« Moi quand ça m’est arrivé, j’y croyais beaucoup (en la justice) et j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé », confie Giulia Foïs devant la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes. « Il a été acquitté et moi j’ai été broyée une deuxième fois » continue-t-elle, la gorge encore nouée après 25 ans.
La journaliste raconte comment, après avoir porté plainte, elle a dû faire face à des procédures longues et humiliantes. Pour qu’une victime puisse porter plainte, il lui faut « beaucoup d’argent », explique-t-elle, qu’elle soit « très bien entourée » et qu’elle « s’apprête à perdre. » Il y a « une chance sur deux que sa plainte ne soit pas reçue » et « 9 chances sur 10 pour qu’elle soit classée sans suite. » Elle poursuit : « quand elle arrivera dans l’arène judiciaire, elle a de fortes chances de se faire maltraiter. »
Même après plusieurs décennies, déposer une plainte constitue toujours une épreuve. Elle raconte la fois où elle a dû se rendre au commissariat après s’être fait voler son sac : « J’ai fait une crise d’angoisse (…) Le flic qui recevait ma plainte (…) ne se rend pas compte que je fais des bons sur ma chaise dès que j’entends une porte qui claque (…) Mon corps se souvient de combien l’institution judiciaire m’a broyée. »
Le laxisme judiciaire fait passer le message que « non seulement on peut être violer » mais en plus, que c’est « permis. » Giulia Foïs dénonce l’horreur d’un système où la victime est mise en accusation, où elle doit se justifier non seulement du crime qu’elle a subi, mais aussi de la légitimité de sa plainte, sans compter l’attitude de certains policiers.
Cette « victimisation secondaire », terme qu’elle découvre bien plus tard en discutant avec des amies féministes dans l’associatif ou dans l’aide aux victimes, est une souffrance distincte du traumatisme initial du viol.
« Je suis une sur deux » : L’écriture comme voie de guérison
En France, une femme sur deux est victime d’une forme de violences sexuelles. Giulia Foïs a trouvé le moyen de reprendre le contrôle avec l’écriture de son livre Je suis une sur deux. « J’ai mis 20 ans à être prête à écrire » confie-t-elle.
L’auteure dévoile de manière crue et poignante la violence de son agression, mais aussi l’après, le déni social et institutionnel, et les ambiguïtés du système judiciaire en matière de violences sexuelles. Elle commence par « J’ai eu de la chance. J’ai eu le bon viol » qui illustre l’absurdité de la manière dont la société et le système judiciaire perçoivent et traitent les victimes. La victime idéale, celle qui colle à l’image qu’on se fait d’une victime de viol « brisée, défigurée, marquée à vie » est ce que le système préfère reconnaître.
Je suis une sur deux évoque le phénomène de l’invisibilité du traumatisme, comment la souffrance intérieure n’est pas prise en compte par les autorités, et à quel point l’image de la victime de viol se trouve réduite à des stéréotypes.
« Raconter le viol, c’était une façon de reprendre la main sur l’histoire », explique Giulia Foïs. C’est une victoire intime, mais qui, par extension, s’inscrit aussi dans une lutte collective : celle pour que la parole des victimes soit entendue et respectée.
86 % des affaires de violences sexuelles sont classées sans suite, atteignant même 94 % pour les viols, a révélé l’Institut des politiques publiques. L’histoire que raconte Giulia Foïs est celle de milliers de femmes qui, une fois confrontées à la justice, prennent « une deuxième gifle (…) cette fois-ci est institutionnelle. »
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