Solène Podevin-Favre : « La défense des plus fragiles est le moteur de mon engagement. »

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La rédaction

Présidente de l’association Face à l’Inceste et directrice de l’assurance inclusive au sein de World Vision International, Solène Podevin-Favre œuvre depuis plus de vingt ans pour une protection plus juste des populations les plus vulnérables, en France comme à l’international. Pour The Women’s Voices, elle revient sur un parcours guidé par une conviction forte : garantir protection et dignité à chacune et chacun. Rencontre.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?

Depuis le début, ma vie professionnelle est guidée par une conviction : chacun mérite protection et dignité. D’abord en France, où pendant dix ans, j’ai développé ma vision d’une protection accessible à tous pour une mutuelle étudiante (la SMEBA).

Puis, à l’international : en Inde, pour piloter un programme de microassurance offrant une couverture santé et vie aux habitants des bidonvilles du Maharashtra, à Bombay et Pune ; puis au Cambodge, où j’ai contribué à l’élaboration du système national de sécurité sociale.

Aujourd’hui, je suis Directrice de l’assurance inclusive au sein de World Vision International depuis 2019. J’y accompagne les institutions de microfinance et les ONG dans la création d’offres de protection adaptées aux besoins des familles les plus pauvres, contribuant ainsi à améliorer la vie de milliers d’enfants et de familles à travers le monde.

Toutes ces expériences ont en commun qu’elles sont au service des plus vulnérables. Cette défense des plus fragiles est aussi le moteur de mon engagement citoyen, comme présidente de l’association Face à l’Inceste, où je me suis engagée en 2021. 11 % de la population française est concernée, alors je me devais d’agir, de faire ma part.

Nous avons aujourd’hui trois piliers : informer le grand public, former les professionnels qui interviennent auprès des enfants et plaider pour un monde plus protecteur auprès des décideurs afin de faire évoluer les lois. C’est à ce titre que j’ai été nommée co-directrice de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) en avril 2024.

Quels sont vos défis pour cette année ?

En 2026, mon principal défi sera de consolider la forte croissance de nos différents projets dans chacune de mes missions — professionnelles, associatives et personnelles — tout en veillant à maintenir une dynamique d’excellence. Cela signifie garantir que chaque membre de mes équipes soit pleinement reconnu et valorisé pour son rôle essentiel, et continuer à innover afin d’élargir notre impact.

Mon ambition : renforcer notre contribution à un monde plus protecteur pour les populations vulnérables.

De quoi êtes-vous le plus fière professionnellement ?

D’avoir su rester fidèle à ce que je suis, à mes valeurs. J’en ai fait une boussole qui m’a guidée face à des choix qui n’étaient pas toujours simples. Aujourd’hui, je pense avoir réussi à mettre mon énergie au service de projets humains et solidaires.

J’ai la chance de travailler sur des projets de long terme et de pouvoir mesurer l’impact positif qu’ils ont sur les personnes. Je suis fière de cette constance.

Quel a été votre plus grand échec et quelle leçon en avez-vous tirée ?

Je citerai un échec professionnel : un partenariat que j’ai refusé parce que j’estimais que la valeur apportée à nos clients n’était pas suffisante. Ce partenaire potentiel a alors transformé son modèle économique et est devenu notre concurrent. J’y ai souvent pensé : ils nous ont dépassés.

L’équilibre est parfois difficile à trouver entre business et valeurs. Je suis profondément attachée à mes valeurs, mais j’entraînais à l’époque une équipe de 150 personnes. Dix ans plus tard, tout va bien, chacun a poursuivi son chemin. Nous aurions sans doute pu briller davantage, mais à quel prix…

Qu’est-ce qui vous motive le plus et pourquoi ?

Ce qui me motive profondément, c’est d’agir en cohérence avec mes convictions et de relever des défis qui, a priori, semblent impossibles. J’aime démontrer que oui, il est possible de changer le cours des choses, de créer de l’impact et de repousser les limites.

Mon moteur, c’est d’aller sur le terrain, de rencontrer les familles dans des zones reculées d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, d’écouter leurs besoins et de comprendre leurs réalités. C’est dans ces échanges que je puise ma détermination et que je trouve le sens de mon travail : utiliser mon expertise technique pour concevoir des solutions qui améliorent réellement leur quotidien.

Les victoires, grandes ou petites, sont une source inépuisable de motivation. Quand un projet prend vie, qu’il progresse concrètement sur le terrain, qu’il change quelque chose pour une population, quand on ressent la fierté des équipes et que l’on voit s’illuminer les regards de celles et ceux pour qui on s’est mobilisé, on se dit que tous ces efforts valent la peine. L’humain et la solidarité peuvent faire de grandes choses.

Quelle est votre devise ?

Ma devise, sans surprise, est « rien n’est impossible » de Jacques Cœur. J’y suis attachée parce que j’aime relever des défis, surtout lorsqu’on me dit que l’on n’y arrivera pas.

Partagez avec nous des méthodes ou des conseils qui vous servent le plus au quotidien dans votre travail.

J’ai appris au fil des années que le leadership ne se mesure pas seulement aux résultats. Que ce soit dans un contexte professionnel ou associatif, j’ai toujours placé l’écoute, la bienveillance et le partage au centre de mes projets.

Pour moi, la réussite se construit collectivement. Encourager l’autonomie, valoriser les initiatives et célébrer les succès, même discrets, permet de révéler les talents et de générer un impact durable. Un leadership fort va aussi de pair avec l’équilibre personnel : c’est en restant attentive à mes limites que je peux pleinement accompagner les autres. Mais sur ce dernier point, j’ai encore beaucoup de progrès à réaliser.

Citez une cause qui vous tient particulièrement à cœur et une association dont vous admirez le travail.

La protection de l’enfance est une cause qui me touche profondément. Les enfants font partie des personnes les plus vulnérables de notre société et, pourtant, leur voix est trop souvent ignorée. Leur offrir un cadre sûr, les protéger et leur permettre de grandir avec confiance et dignité me semble fondamental pour construire un monde plus juste, ici comme ailleurs.

J’ai une profonde admiration pour le travail mené par les associations engagées dans ce domaine. J’ai choisi de m’engager auprès de deux d’entre elles : World Vision International à titre professionnel, et Face à l’Inceste à titre personnel, qui œuvrent chaque jour pour accompagner, protéger et faire entendre celles et ceux qui n’en ont pas toujours la possibilité.

Quand, pour la première fois, avez-vous donné « de la voix » ?

La première fois que j’ai vraiment « donné de la voix », c’était au Conseil national de la jeunesse, entre 22 et 26 ans. J’étais responsable de la commission santé et des relations avec les pays francophones et l’Organisation internationale de la Francophonie.

Nous devions défendre des politiques concrètes pour les jeunes, ce qui impliquait non seulement de porter nos idées, mais surtout de trouver un terrain d’entente entre des visions parfois très différentes, issues de 55 pays. Je me souviens des longues discussions, des compromis nécessaires et de la satisfaction lorsque nous réussissions à faire adopter une mesure bénéfique pour tous.

Cette expérience m’a appris la diplomatie, l’importance de l’écoute, la compréhension de contextes variés et la capacité à transformer des divergences en actions concrètes. J’y ai compris que donner de la voix, ce n’est pas seulement parler : c’est aussi construire, convaincre et créer de l’impact. J’y ai également appris que l’alignement des objectifs est essentiel : lorsque tout le monde partage la même intention, les résultats suivent ; dans le cas contraire, les divergences entraînent tensions et désordre.

Quels sont le livre, le film et la série que vous recommanderiez en ce moment ?

Si je devais recommander un film, sans hésiter, je choisirais Muganga, qui retrace le combat du Dr Denis Mukwege pour soigner les femmes congolaises victimes de violences sexuelles. Ce film est puissant : au-delà de son parcours, il met en lumière une réalité brutale, une barbarie infligée aux femmes.

On y découvre des femmes porteuses de vie et de courage ; la résilience y est magnifiquement représentée. On y ressent aussi l’hypocrisie et le silence du monde, lorsque détourner le regard est bien plus facile que d’affronter une horreur qui pourrait nous amener à reconnaître une part de responsabilité.

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