Isabelle Giordano : «  Le cinéma est un formidable porte-voix pour les femmes »

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Ancienne journaliste cinéma, aujourd’hui déléguée générale de la Fondation BNP Paribas, Isabelle Giordano est aussi présidente de l’association « Cinéma pour Tous ». A l’occasion de ce 75e Festival de Cannes, nous l’avons interrogée, sur la place des femmes dans l’industrie du cinéma, lors du Live BRUT- The Women’s Voices. Rencontre avec une experte du grand écran.

Quelle est la vocation de l’association “Cinéma pour Tous” que vous avez fondée ?

« Cinéma pour tous »  est une association qui permet depuis 16 ans, à des adolescents des quartiers défavorisés en Île-de-France, à Rouen, à Lyon, de voir des films mais surtout d’en débattre. Le débat est aussi important, il porte souvent sur des valeurs citoyennes, sur la tolérance, sur des sujets que les professeurs n’osent pas ou plus aborder en classe. On organise un concours d’écriture une fois par an et souvent les gagnants sont des gagnantes. Cette année, j’ai monté les marches avec deux jeunes filles qui ont été inspirées par des films notamment par « Papicha », l’histoire d’une jeune fille au Maghreb qui prend son destin en main. En montrant le film « Erin Brockovich » à des jeunes garçons d’une classe de seconde, ils m’ont dit : « mais Madame, une femme ne peut pas faire ça et puis d’abord, une femme ne pourra jamais être Présidente de la République », je me suis dit qu’il y avait encore beaucoup de pédagogie à faire.

Il y a une forme d’engagement dans la culture qui nous permet de changer les destins, les mentalités et les comportements. Pour essayer de mieux comprendre ce que peuvent être les relations entre la modernité et la tradition, entre les parents et les enfants, entre la laïcité la religion. En parler en classe par le biais de la fiction et du storytelling, cela permet justement de délier les langues…

Vous observez l’industrie du cinéma depuis de nombreuses années, constatez-vous une évolution pour les femmes ?

Je vois une vraie évolution depuis 5 ans avec deux moments charnières : MeToo et le Covid. On l’a vu cette année à Cannes avec beaucoup de cinéma engagé. Par exemple, dans un endroit comme le QG Consulat, il y a eu de nombreux débats sur le thème du cinéma à impact et c’est d’ailleurs là que Marion Cotillard, Cyril Dion et Magali Payen ont annoncé la création de leur société de production ( Newtopia, ndlr). Autre exemple, la semaine du Cinéma Positif organisée par Jacques Attali et Audrey Tcherkoff. Depuis le Covid, on s’est rendu compte que l’on avait besoin d’être solidaire face à un certain nombre de catastrophes environnementales et sociétales. Cela a mobilisé les artistes qui ont envie de raconter des histoires engagées et impactantes. Metoo, c’est vraiment un tournant et cela a changé la donne dans les sociétés de production à Hollywood. Les films ne sont plus les mêmes. La place des femmes, des réalisatrices et des actrices est prise en considération, même si la situation est loin d’être parfaite. Dans le monde du cinéma, certaines propositions de parité, de diversité ont été validées par le CNC, les choses ont vraiment accéléré depuis quelque temps.

Extrait du Live BRUT – The Women’s Voices

Travailler dans le cinéma en tant que femme est-il vraiment accessible, notamment en termes de financement ?

Le cinéma est un formidable porte-voix pour les femmes. C’est difficile bien sûr, il y a beaucoup de femmes qui ont du mal à rentrer dans le monde du cinéma, mais en France on est mieux lotis que dans d’autres pays, avec 25 % de femmes réalisatrices contre 2 % aux Etats-Unis. Il faut continuer de lutter, car les femmes ont beaucoup plus d’audace et parfois de talents que les hommes. Il y a de plus en plus de jeunes femmes, parfois issues des quartiers qui se rendent compte que même sans diplômes, sans avoir fait une grande école, on peut s’emparer d’un crayon pour écrire un scénario, ou d’une caméra et faire un film. Il y a eu de nombreux exemples comme Houda Benyamina avec son 1er long-métrage « Divines ». C’est un très bon signe et c’est inspirant pour toutes les jeunes générations, on peut encore progresser et faire bouger les lignes. L’accès à la culture, au savoir et aux moyens de production artistique est encore réservé à une élite ou une certaine catégorie de personnes. J’ai été membre de la commission diversité du CNC et nous devions statuer sur le film « Mamans » de Maïmouna Doucouré. Une partie de la commission voulait lui faire changer la fin de son histoire et elle, voulait faire entendre sa voix. Finalement, Maïmouna a fait ensuite un magnifique parcours, a gagné des prix notamment au Festival de Sundance. Cela veut bien dire que dans les instances de décision, il faut de la diversité, il faut des femmes pour octroyer des subventions.

Vous dirigez la fondation BNP Paribas, le groupe est-il aussi présent dans l’industrie du cinéma ?

J’ai la chance d’avoir rejoint la fondation BNP Paribas qui est un groupe qui a toujours été très engagé dans le cinéma. C’est le premier financeur du cinéma en France et qui est donc très présent à Cannes, et plus particulièrement à la Quinzaine des Réalisateurs. Le groupe a cette volonté d’avoir un impact sur la société avec des films. Je pense par exemple au premier film de Sandrine Kiberlain (Une Jeune fille qui va bien, ndlr) ou encore au film qui sortira prochainement avec Elsa Zylberstein sur Simone Veil. Le fait aussi d’inviter des jeunes, en leur distribuant des places gratuites, permet d’avoir accès à une culture générale, à des univers et à des thèmes qui sont importants. Il faut vraiment privilégier tous ces lieux de débat serein où il y a de la cohésion, de la concorde et où l’on peut prendre le temps d’aller dans la nuance et la complexité. Il faut être des militantes actives. Avec le film « Intouchable » vu par 20 millions de personnes en France, le regard sur le handicap a changé. Cela a été le cas pour « La Famille Bélier » également. Certains films quand ils touchent le plus grand nombre peuvent vraiment transformer la société et même contribuer à l’émergence de nouvelles lois.

Cette année sur le tapis rouge deux événements: les « Colleuses » qui déroulaient la liste des féminicides et une femme nue, avec le drapeau ukrainien et la culotte maculée de sang, pour dénoncer les viols, que pensez-vous de ce type d’initiatives ?

Ces deux images sont essentielles, elles sont fortes et violentes mais cruciales. Avec la Fondation BNP Paribas on travaille beaucoup avec l’UNHCR et des femmes violentées depuis le début de la guerre, c’est une affreuse réalité. Cette femme qui était sur les Marches et qui a exprimé cela avec son corps et ses mots, ou ces Colleuses qui dénoncent les féminicides, elles ont raison d’utiliser le pouvoir des images et de prendre la parole.

Je me souviens également de cette image avec Agnès Varda, Cate Blanchett et près d’une centaine de 100 femmes sur les marches à Cannes, pour montrer le pouvoir des femmes et demander l’égalité salariale.

Plus largement sur la question des violences faites aux femmes, la Fondation BNP Paribas et moi-même sommes très fiers d’apporter un soutien à la Fondation des femmes et à son formidable travail.

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