Hommage à Maryse Condé : sa vie, son œuvre au prisme du métissage culturel

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Célébrons Maryse Condé, journaliste, professeure de littérature, écrivaine et militante, symbole de métissage culturel et d’identité plurielle pour son oeuvre riche et sa vie exceptionnelle qui traversent la Guadeloupe, La France métropolitaine, l’Afrique, l’Europe, Les Etats-Unis.   

Maryse Condé et le Métissage : un théâtre de l’identité

En novembre 2023, notre association Cap Métissage a décidé de s’associer avec Wahé Création et la comédienne et metteure en scène Nathaly Coualy pour l’adaptation en pièce de théâtre musical du roman Désirada de Maryse Condé, « Enfin Libre ». Pour l’association c’était un grand honneur et une évidence.

Dans mes autres contributions, j’ai eu l’occasion de mettre en lumière ces femmes inspirantes et combatives, aux vies hors du commun, qui m’ont inspirée, telles que Tina Turner et Whitney Houston. Maryse Condé fait partie de ces figures.

Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem

Elle n’a pas toujours été tendre avec le concept de métissage. D’ailleurs, dans l’un de ses romans les plus connus, Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem, elle écrit : « Elle n’aime pas le mot métissage, elle préfère celui de diversités culturelles. Elle n’a pas tort. Pourquoi vouloir encore enfermer les gens “différents” dans une seule catégorie ? ».

Je suis d’accord avec cela : le métissage est pluriel, et il ne s’agit pas de réduire les personnes métisses à une unique catégorie, bien qu’ils partagent certaines richesses et défis liés à ce mélange de cultures. Et Maryse Condé le savait bien : sa vie était une mosaïque de cultures et une recherche constante d’identité.

Entre l’Afrique et la France : la quête d’identité

Née Maryse Liliane Appoline Boucolon en février 1934 à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, elle a été élevée dans une famille qui valorisait la littérature et l’éducation. À l’âge de 16 ans, elle quitte son île natale pour Paris, un tournant décisif où elle intègre le Lycée Fénelon.

C’est dans ce creuset intellectuel qu’elle découvre les voix puissantes de la Négritude et, surtout, le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, qui allume en elle la flamme d’une conscience anticolonialiste. Au cœur de la métropole, elle se joint aux jeunes intellectuels africains, haïtiens et antillais qui, comme elle, deviendront des personnalités influentes.

Un départ pour l’Afrique 

Elle épouse, à Paris, Mamadou Condé, comédien guinéen. Cette union la conduit à s’installer en Afrique — un voyage au-delà des mers qui lui permet d’enseigner en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Ghana et au Sénégal.

Ce mariage prit fin après 14 ans, laissant Maryse Condé mère célibataire de quatre enfants, qui continue à parcourir l’Afrique. Ces terres, richement tissées d’histoires et de cultures, devinrent le terreau fertile de son inspiration littéraire. Ces expériences viendront nourrir sa réflexion sur la multiculturalité, une valeur qu’elle incarnera et défendra tout au long de sa vie.

Maryse Condé : trajectoire d’une littérature transatlantique

Rentrée en France en 1970, elle entreprend des études de lettres françaises à la Sorbonne, tout en collaborant avec la revue Présence africaine. Elle y canalise son énergie intellectuelle et créative, ce qui la mène à décrocher un doctorat en 1975, avec une thèse scrutant les représentations des Noirs dans la littérature antillaise. Professeure et journaliste, elle s’essaie également à la dramaturgie avant de s’épanouir en tant que romancière, une vocation qui lui vaudra de nombreux éloges et prix littéraires.

Hérémakhonon, signifiant « en attendant le bonheur », a été son premier cri littéraire, publié à ses 42 ans. Il s’agit d’un roman introspectif revenant sur ses désillusions africaines. La traversée de l’Atlantique noir devient alors le fil conducteur et l’amorce d’un vaste corpus d’œuvres, où l’Europe, l’Afrique et l’Amérique se côtoient dans une danse complexe entre mémoire et identité, explorant avec détermination les thèmes de l’exil et de la maternité, unissant ses expériences personnelles aux luttes collectives des peuples africains et antillais.

Le rôle crucial de Richard Philcox

C’est peut-être à l’Université Columbia que Maryse Condé a atteint l’apogée de sa carrière. Fondatrice du Centre des études françaises et francophones à l’université Columbia, elle a non seulement consolidé sa réputation académique, mais a également contribué à faire connaître la littérature francophone aux États-Unis.

Quelques années plus tôt, Maryse Condé avait croisé, au Sénégal, le chemin de Richard Philcox, traducteur et éditeur britannique. Ils se sont mariés en 1981, fondant une union qui allait bien au-delà de l’amour. Passionné par la langue et la culture françaises, Richard Philcox est devenu le traducteur attitré des œuvres de Maryse Condé, contribuant ainsi à les diffuser auprès d’un public international plus large.

Leur collaboration ne s’est pas limitée à la traduction littérale. Richard Philcox a joué un rôle crucial dans l’adaptation des textes de Maryse Condé au contexte culturel anglophone, apportant son expertise linguistique et sa connaissance de la culture britannique pour s’assurer que les nuances et les subtilités de l’œuvre originale étaient préservées dans la traduction.

De la Guadeloupe au Monde : le Parcours identitaire de Maryse Condé

Maryse Condé a toujours su que « pour être en paix avec soi-même, il faut s’accepter comme si l’on était le fondement, et la naissance de tout ». Cette philosophie transparaît dans son enseignement et son écriture, et reste un leitmotiv dans sa vie. Ses livres sont des exutoires où, comme elle le dit elle-même, « la littérature est le lieu où j’exprime mes peurs et mes angoisses, où je tente de me libérer de questionnements obsédants ».

En effet l’identité de Maryse Condé vis-à-vis de la Guadeloupe est des plus complexes et plurielles. Née en Guadeloupe, elle a grandi à la fois sur son île natale et en France métropolitaine.

L’exil a joué un rôle prépondérant dans la construction de l’identité de Maryse Condé. Ayant vécu en Afrique de l’Ouest et aux États-Unis, elle a pu observer les réalités de la colonisation et de la décolonisation sous différents angles. Cette expérience a nourri sa réflexion sur la condition des peuples caribéens et sur la place de la Guadeloupe dans le monde.

“J’aime la Guadeloupe”

« Je crois que je ne serai jamais rien d’autre qu’une Guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne à ma manière, qui parle peu créole, qui réside en partie à New York, qui a visité le monde… Mais au fond de moi, le lieu qui a fait ce que je suis, mes parents, mes souvenirs d’enfance, ont créé quelque chose que je ne pourrai jamais modifier. J’aime la Guadeloupe, le pays, la nature, les sons, les images. Je mourrai guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne indépendantiste. »

Citation de Maryse Condé tirée d’une interview accordée à France Télévisions, une source d’inspiration pour tous ceux qui s’interrogent sur leur identité et leur place dans le monde. Elle nous rappelle que l’identité est multiple, complexe et évolutive, et qu’il est important de savoir d’où l’on vient tout en s’ouvrant au monde.

Maryse Condé et la reconnaissance d’une Voix Francophone

Pourtant multi récompensée, première lauréate du Prix du Grand Roman Métis en 2010 et consacrée par le Prix Nobel « alternatif » de littérature en 2018, elle exprime son étonnement que ses récits ne soient pas plus entendus en France : « En France, je n’ai jamais eu le sentiment que l’on écoutait vraiment ce que j’avais à dire. Je suis habituée à être un peu marginalisée. Aussi, cela m’étonne que ce soit un pays tel que la Suède, un pays voisin de la France, qui estime que ce que je dis et ce que je suis est important. » (Jeune Afrique).

En mars 2020, la distinction de la Grand-Croix de l’ordre national du Mérite est conférée à l’éminente romancière de la Guadeloupe par le président Emmanuel Macron, reconnaissant ainsi sa contribution exceptionnelle à la littérature et à la société. Avec la publication de “L’Évangile du nouveau monde” en 2021, elle offre une relecture audacieuse du Nouveau Testament, ancrée dans le terreau fertile de la Guadeloupe d’aujourd’hui, témoignant de son ingéniosité narrative et de son engagement inébranlable à revisiter les récits pour refléter les réalités contemporaines.

Dévouée à la préservation de la mémoire historique

Activiste infatigable, Maryse Condé a également brillé par son militantisme dévoué à la préservation de la mémoire historique. À la tête du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage de 2004 à 2009, elle a joué un rôle pionnier dans la reconnaissance et la commémoration de l’histoire de l’esclavage.

Aujourd’hui, je reste surprise que l’école ne m’ait jamais enseigné ni parlé de cette figure emblématique de la francophonie. Je suis fière de l’hommage national qui lui est rendu. « Les morts ne meurent que s’ils meurent dans nos cœurs. Ils vivent si nous les chérissons, si nous honorons leur mémoire », comme le souligne Maryse Condé dans Moi, Tituba, sorcière.

Je reste néanmoins triste que son œuvre ne soit que si peu présentée dans les établissements scolaires. Avec Cap Métissage, au travers de la pièce Enfin Libre, nous rendons hommage à cette femme combattive et multiculturelle qui représente aussi la France.

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