Dans les villages français, près d’un féminicide sur deux se produit loin des regards. Face à l’isolement des victimes et au manque de services d’urgence, des maires ruraux se forment pour détecter les signes de violences conjugales, recueillir la parole des femmes et les orienter vers une aide adaptée. Ce dispositif, inédit à l’échelle nationale, mise sur la proximité et la vigilance pour sauver des vies.
Une mobilisation nécessaire en campagne
En France, près de la moitié des féminicides se déroulent en milieu rural. Ce constat alarme élus et associations. Dans les campagnes, les victimes sont souvent plus isolées et moins protégées. À Châtel-Censoir, petit village du Morvan, le maire Olivier Maguet se souvient de son premier choc. Quelques semaines après son élection, il doit abriter en urgence une femme et son enfant menacés par un mari armé. « On croit que ça n’arrive que dans les villes, mais c’est faux », affirme-t-il. En zone rurale, l’élu est souvent seul face à ce type de crise. Il n’existe pas toujours de services spécialisés ou de centres d’hébergement d’urgence. Les victimes ont alors peu de portes vers lesquelles se tourner.
Pour répondre à ce manque, l’Association des maires ruraux de France lance en 2022 le réseau des « Élus relais de l’égalité » (Erre). L’initiative est portée par Dominique Chappuit, maire de Rosoy et vice-présidente de l’AMRF. Ces élus reçoivent une formation spécifique pour repérer les signes de violences intrafamiliales, même discrets. Le colonel Nicolas Nanni, commandant de la gendarmerie de l’Yonne, insiste sur la vigilance face au « contrôle coercitif ». Ce mécanisme de domination enferme la victime dans une dépendance totale. En campagne, le moment passé à la mairie peut parfois être la seule occasion pour une victime de souffler et de parler. L’objectif est donc de « muscler le regard des élus » pour collecter des éléments utiles à la justice.
Un contexte rural qui aggrave les violences
Selon un rapport du Sénat de 2021, 47 % des féminicides ont lieu en milieu rural, alors que ces zones ne regroupent qu’un tiers des femmes. La précarité économique, plus fréquente dans ces territoires, complique la séparation. Clémence Pajot, directrice de la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes, confirme cette vulnérabilité. Les femmes rurales sont moins nombreuses à appeler le 3919, le numéro national d’écoute. Elles doivent aussi affronter l’isolement, le manque de transports, et un réseau associatif moins dense. La peur du « qu’en dira-t-on » pèse lourd. Dans les villages, l’anonymat est rare et la proximité sociale freine la dénonciation des violences.
Ancienne victime vivant « en pleine campagne », Marie anime aujourd’hui le podcast Marie Radieuse et Libérée. Sur les réseaux sociaux, elle reçoit chaque jour des messages de femmes coincées dans leur situation. Sans voiture, sans compte bancaire, elles ne savent pas comment fuir. Marie travaille désormais avec les maires ruraux. Selon elle, les élus formés peuvent offrir une aide psychologique, logistique et accompagner les victimes jusqu’au dépôt de plainte. Dominique Chappuit rappelle que chaque histoire est unique. Elle évoque une jeune Vietnamienne contrainte à un mariage arrangé et exploitée par son mari.
La procureure de Sens, Julie Colin, salue l’engagement des élus, qui permet parfois de protéger des victimes réticentes à porter plainte. Enfin, le colonel Nanni mobilise des unités spécialisées. Des affaires récentes ont révélé l’usage de logiciels espions et de traceurs GPS par les agresseurs. Ces éléments fournissent des preuves solides aux tribunaux.
Face à l’ampleur du problème, les maires ruraux deviennent des acteurs clés de la lutte contre les violences conjugales. Leur proximité avec la population, alliée à une formation ciblée, peut sauver des vies. Mais ce combat reste difficile : il exige des moyens, du temps et une vigilance constante.