Pourquoi les femmes souffrent davantage des catastrophes naturelles et des migrations

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La rédaction

Par Shérazade Zaiter Auteure | Juriste | Conférencière | Ambassadrice pour le Pacte européen du climat, Université de Limoges

Chaque minute, soixante personnes quittent leur foyer, chassées par des phénomènes extrêmes aggravés par le dérèglement climatique. Pourtant, cet exode massif reste largement ignoré, invisible aux yeux de l’opinion publique et absent des grandes résolutions internationales… Un phénomène sur lequel Shérazade Zaiter lève le voile dans Le Grand Déplacement : l’exode climatique, qui paraît le 12 juin aux éditions Erick Bonnier.

Découvrez ci-dessous le chapitre de l’ouvrage consacré au sort que connaissent beaucoup trop de femmes durant ces migrations.


La Terre serait-elle si cruelle qu’elle vise délibérément les femmes lors des catastrophes, les transformant en victimes plus nombreuses que les hommes ?Évidemment non. Il serait absurde de croire qu’être une femme réduit intrinsèquement ses chances de survivre.

Cette inégalité est pourtant implacable. Les catastrophes naturelles tuent en moyenne plus de femmes que d’hommes. C’est le résultat d’un travail mené par deux chercheurs en sciences de l’environnement et en recherche sociale quantitative, Éric Neumayer et Thomas Plümper. Ils ont étudié plus de 200 catastrophes, dans 141 pays, entre 1981 et 2002. Et quand les femmes ne meurent pas en surnombre, elles meurent à un âge plus précoce.

Les femmes meurent davantage des catastrophes naturelles

Lors du tremblement de terre de Kobe au Japon, en 1995, la mortalité féminine a été 50 % plus élevée que celle des hommes. De nombreuses femmes âgées vivaient seules dans des zones résidentielles défavorisées, particulièrement touchées par les secousses.

Plus pauvre, le Bangladesh a connu des épisodes climatiques tout aussi meurtriers. En 1991, un cyclone suivi d’inondations a causé la mort de 140 000  personnes, dont 90 % étaient des femmes et des jeunes filles. En 2010, l’Unicef rapportait qu’au Pakistan, des inondations avaient affecté 18 millions d’habitants, parmi lesquels 70 % étaient des femmes et des enfants.

En mars 2005, Oxfam International a publié une étude révélant que lors du tsunami du 26 décembre 2004, les femmes ont payé un tribut disproportionné. Déclenché par un tremblement de terre au large de l’île indonésienne de Sumatra, il a dévasté des milliers de kilomètres de côtes en quelques heures, frappant 12 pays en Asie du Sud-Est, en Asie du Sud et en Afrique de l’Est. Plus de 220 000 personnes ont péri et 1,6 million ont été déplacées. La province indonésienne d’Aceh, épicentre de la tragédie, a été la plus durement touchée, avec 132 000 morts et 37 000 disparus. Dans certains villages, près des deux tiers des victimes étaient des femmes et des enfants. À Kuala Cangkoy, par exemple, 80 % des décès étaient des femmes.

Des histoires similaires se répètent ailleurs : en Inde, au Cuddalore, près de trois fois plus de femmes que d’hommes ont perdu la vie. Au Sri Lanka, des données partielles indiquent également un déséquilibre frappant dans les taux de survie.

Pourquoi une telle disparité ? Les raisons varient, mais des facteurs communs émergent : les femmes restent souvent pour chercher leurs enfants ou aider des proches, tandis que les hommes savent plus souvent nager ou grimper aux arbres.

À Aceh, le tsunami a frappé un dimanche matin, moment où de nombreuses femmes étaient à la maison, alors que les hommes se trouvaient loin des côtes. En Inde, les femmes attendaient sur le rivage les retours des pêcheurs. Au Sri Lanka, dans le district de Batticaloa, le tsunami a frappé à l’heure où les femmes prenaient leur bain dans la mer. Oxfam souligne que les catastrophes révèlent et amplifient les inégalités sociales préexistantes. Là où des structures sociales fragiles existent, les femmes se retrouvent en première ligne, payant souvent le prix le plus élevé.

Les horreurs de la migration

En novembre 2024, un rapport accablant du Haut commissariat aux réfugiés (HCR), de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Centre des migrations mixtes a révélé l’horreur des violences infligées aux femmes migrantes empruntant la route centrale méditerranéenne : 90 % des migrantes sont victimes de viols, souvent à plusieurs reprises, dans une barbarie où le corps des femmes devient une monnaie d’échange, un champ de souffrance systémique. Les bandes criminelles et les passeurs abusent de leur pouvoir en exigeant des « faveurs sexuelles » en échange d’une traversée, d’un abri ou même d’un verre d’eau.

Certaines femmes sont kidnappées, mariées de force à leurs bourreaux, et contraintes de porter leurs enfants. Le but ? Exploiter leurs grossesses pour les rendre éligibles à l’accostage en Europe, en jouant sur les perceptions de vulnérabilité pour obtenir des droits humanitaires. Une migrante citée dans le rapport avait décidé de se travestir en homme pour éviter ces violences. Mais son subterfuge a été éventé par un passeur lors d’un trajet à bord d’un pick-up surchargé. Débusquée, harcelée, puis violée dans un entrepôt isolé, elle a survécu, au prix d’un traumatisme irréparable.

Les lieux où ces horreurs se déroulent sont connus : la Libye, le désert du Sahara, le Niger, le Soudan et le Mali. Là, les migrantes, déjà affaiblies par des conditions de voyage inhumaines, sont enchaînées, battues, électrocutées. Certaines sont détenues dans des camps insalubres où elles sont régulièrement violées par des groupes de passeurs. D’autres encore, après des tortures atroces, doivent payer leur liberté par des sommes exorbitantes que leurs familles, contactées par les ravisseurs, peinent à réunir. Peu parviennent à s’évader. Les corps sans vie retrouvés dans le désert ou en Méditerranée témoignent de ces tentatives désespérées.

Qu’elles fuient les guerres, les persécutions, la faim ou les effets du changement climatique, les femmes voient leur voyage se transformer en une odyssée de douleur et de terreur.

Des voix pour la paix

À Oslo, 10 décembre 2018, le docteur  Denis Mukwege prononce un discours douloureusement mémorable lors de la remise de son prix Nobel de la paix.

« Dans la nuit tragique du 6 octobre 1996, des rebelles ont attaqué notre hôpital à Lemera, en République démocratique du Congo (RDC). Plus de trente personnes tuées. Les patients abattus dans leur lit à bout portant. Le personnel ne pouvant pas fuir tué de sang-froid. Je ne pouvais pas m’imaginer que ce n’était que le début. Obligés de quitter Lemera, en 1999 nous avons créé l’hôpital de Panzi à Bukavu où je travaille encore aujourd’hui comme gynécologue-obstétricien. La première patiente admise était une victime de viol ayant reçu un coup de feu dans ses organes génitaux. La violence macabre ne connaissait aucune limite. Cette violence malheureusement ne s’est jamais arrêtée. »

Ce gynécologue-obstétricien, surnommé « l’homme qui répare les femmes », a décrit avec une précision douloureuse les atrocités vécues par les victimes de violences sexuelles. Il a évoqué Sarah, une femme dont le village avait été ravagé, qui avait survécu à des viols collectifs, attachée nue à un arbre dans la forêt. Malgré des blessures inimaginables, Sarah a retrouvé sa force et aujourd’hui, elle aide d’autres survivantes à reconstruire leur vie.

Ces violences prospèrent dans un monde où l’impunité des agresseurs est la norme. Où les dirigeants tolèrent, voire utilisent, la violence sexuelle comme arme de guerre. Et où l’indifférence des puissants alimente ces atrocités. « La justice ne se négocie pas », a-t-il proclamé, dénonçant les systèmes qui, par inaction ou complicité, permettent ces crimes. « Si une femme comme Sarah n’abandonne pas, qui sommes-nous pour le faire ? », a-t-il demandé. La lutte contre les inégalités de genre, les violences sexuelles et l’impunité est une affaire collective. Pour Sarah et tant d’autres.

Le combat pour la dignité des femmes, porté par des figures comme le Docteur Denis Mukwege, trouve une résonance particulière avec la détérioration de l’environnement. En Afrique subsaharienne, une étude de l’OMS et de l’Unicef a révélé qu’elles représentent 71 % des personnes chargées de la collecte de l’eau.

Cela signifie des millions d’heures passées chaque jour à parcourir des distances interminables dans des zones souvent non protégées. Ces trajets les exposent à des violences sexuelles et à d’autres dangers, notamment lorsqu’elles doivent traverser des territoires contrôlés par des groupes armés.

Ces contraintes ne se limitent pas à leur sécurité physique : elles entravent aussi l’accès des filles à l’éducation et réduisent le temps que les femmes pourraient consacrer à des activités génératrices de revenus. Pendant la grossesse et la maternité, ces risques augmentent, rendant encore plus difficile leur survie dans des conditions extrêmes. À travers le monde, des millions de femmes portent le poids combiné des inégalités de genre, des violences structurelles et de la dégradation environnementale que nous ne pouvons plus ignorer.

L’histoire de ces femmes, marquée par la souffrance, est aussi une histoire de résistance. Aujourd’hui, leur rôle dans la gestion des ressources naturelles, la reforestation, ou l’agriculture durable est enfin reconnu. Des programmes soutenus par l’ONU, comme Women and Climate Resilience, encouragent leur autonomie à travers l’éducation, l’accès aux ressources financières et le développement de compétences adaptées au climat.

Couverture de l’ouvrage. Éditions Erick Bonnier

Lors de la COP27, des femmes leaders du monde entier ont présenté des plans d’action concrets intégrant l’égalité de genre aux stratégies climatiques. Leur message est clair : protéger l’environnement et défendre les droits des femmes sont des combats indissociables. Si des avancées notables ont vu le jour, beaucoup reste à faire. L’explorateur Fridtjof Nansen le disait : « Le difficile est ce qui prend un peu de temps ; l’impossible, c’est ce qui prend un peu plus longtemps. »

Cet article est republié à partir de The conversation sous licence Créative Commons. Lire l’article original.

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