Pour la première fois, les femmes sont plus nombreuses que les hommes parmi les médecins en exercice en France ne 2025. Cette avancée, révélée par une étude du ministère de la Santé, masque néanmoins d’importantes inégalités : dans les spécialités les plus rémunératrices, les postes de direction hospitalière ou les carrières universitaires, les hommes conservent leur domination. Les chiffres du Centre national de gestion (CNG) et les témoignages de plusieurs actrices majeures du secteur révèlent une médecine encore profondément hiérarchisée selon le genre.
Une progression visible chez les généralistes et certaines spécialités
La France compte en 2025 plus de 240 000 médecins, avec une légère majorité de femmes, selon une étude officielle publiée en juillet. Ce basculement démographique s’observe fortement chez les médecins généralistes, notamment en exercice libéral.
Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France (le principal syndicat des généralistes libéraux), confirme cette évolution :
« Lors de notre dernière assemblée générale, la salle était remplie de femmes, et trois syndicats de libéraux sont présidés par des femmes. »
Des spécialités comme la gynécologie-obstétrique sont également très féminisées. Dr Christine Louis-Vahdat, gynéco-obstétricienne et responsable de la cellule éthique et déontologie du Conseil national de l’Ordre des médecins, explique :
« On a dans la spécialité une féminisation très nette, qui correspond souvent à une attente des patientes. »
Mais la présidente de MG France souligne que cette féminisation reste très partielle :
« Dans les hiérarchies hospitalières, ou dans les spécialités les plus lucratives comme la radiologie ou la chirurgie, les hommes dominent toujours. »
Pouvoir, prestige et rémunération : les bastions masculins résistent
Les données du Centre national de gestion (CNG) confirment le déséquilibre persistant dans les carrières universitaires et hospitalières :
- En 2025, 73,4 % des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) sont encore des hommes (contre 74,4 % en 2024 et 80,8 % en 2016).
- En 2024, seulement 27 % des directeurs d’hôpitaux publics sont des femmes.
- Parmi les praticiens hospitaliers publics les mieux rémunérés, les femmes ne représentent que 31,4 % des effectifs.
Dans certaines spécialités, la situation est encore plus déséquilibrée. À partir du 9e échelon (sur 13) de la grille salariale hospitalière :
- Les femmes ne sont que 6,7 % en odontologie,
- Et 7,5 % en chirurgie.
Dr Sophie Bauer, présidente du Syndicat des Médecins Libéraux (SML), met ce constat en perspective :
« Le problème sur les postes de direction hospitaliers, c’est un peu celui des postes de pouvoir en général : regardez les ministres d’État du gouvernement ou les dirigeants du CAC 40, il y a encore une disproportion au profit des hommes. »
Dr Anna Boctor, présidente du syndicat Jeunes Médecins, pointe une cause structurelle :
« L’accès aux carrières prestigieuses, en particulier universitaires, reste encore trop réservé aux hommes. Il y a un phénomène de cooptation : le mentor, souvent un homme, choisit des profils à son image. »
Sophie Bauer confirme :
« Dans les jurys de concours, les médecins hommes sont encore majoritaires. »
Sur le terrain de la chirurgie, les stéréotypes sexistes restent puissants. Dr Serge Covaci, chef de clinique à la faculté de médecine de Strasbourg, déclare :
« La chirurgie, c’est un bastion masculin. Pour devenir un bon chirurgien, il faut adopter des codes masculins, on parle d’hyper-virilisation. »
Il cite notamment les travaux de la sociologue Emmanuelle Zolesio, qui a étudié la manière dont les femmes sont évincées durant une « formation à la dure ».
Christine Louis-Vahdat, de l’Ordre des médecins, nuance :
« C’est en train de changer. Certaines spécialités comme la chirurgie orthopédique, la neurochirurgie ou la chirurgie cardiaque se féminisent. »
Mais pour Anna Boctor, un facteur décisif reste sous-estimé : la maternité.
« La méritocratie s’arrête brutalement pour les femmes quand on leur explique gentiment que faire des enfants, c’est choisir de ne pas faire carrière. »
Dr Serge Covaci confirme :
« Rien n’est fait institutionnellement pour permettre de concilier maternité et carrière universitaire. »
Enfin, Dr Anne-Marie Colin-Gorski, pédiatre hospitalière à la retraite et autrice de Les tribulations d’une femme médecin (Publibook), rappelle que les progrès restent récents :
« Quand j’ai commencé mon internat, un grand patron m’a dit : ‘Mademoiselle, je ne vous propose pas de revenir dans mon service parce que, comme vous le savez, les femmes n’ont aucune chance de faire une carrière hospitalière.’ »