Le tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision historique : l’État français est condamné pour faute lourde dans le cadre de l’enquête sur la disparition d’Estelle Mouzin, victime du tueur en série Michel Fourniret. Vingt-deux ans après les faits, la justice a reconnu de graves « dysfonctionnements » et un « manque de moyens humains » dans la conduite de l’instruction, qui ont empêché d’élucider l’affaire plus tôt.
« La décision nous convient. Elle répond exactement à l’objectif qu’on s’était fixé, obtenir la condamnation de l’État », a expliqué Éric Mouzin, le père de la fillette disparue le 9 janvier 2003, à Guermantes (Seine-et-Marne).
Le tribunal a condamné l’État à verser 50 000 euros à M. Mouzin au titre de son préjudice moral. En revanche, il a rejeté ses demandes d’indemnisation matérielle et financière, qui s’élevaient à plus de 150 000 euros.
Des manquements graves et répétés dans l’enquête
Le jugement souligne l’ampleur des ratés judiciaires : pendant neuf ans, le dossier n’a pas été correctement coté, rendant son accès partiel pour les parties civiles. La succession de dix juges d’instruction sur le dossier, parfois en poste pour seulement quelques mois, a aggravé la confusion. Résultat : un dossier de 48 407 cotes et des centaines de milliers de pages difficilement exploitables.
Le tribunal note que « ces dysfonctionnements caractérisent l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui était confiée ». L’avocat d’Éric Mouzin, Me Didier Seban, a insisté : « On aurait pu avoir Michel Fourniret dans le box si la justice avait mis les moyens nécessaires pour mener ce dossier avec la rigueur qu’il exigeait ».
Michel Fourniret, surnommé « l’ogre des Ardennes », avait été condamné en 2008 et 2018 à la réclusion criminelle à perpétuité pour les meurtres de plusieurs jeunes femmes entre 1987 et 2001. Il est mort en prison en 2021, sans jamais être jugé pour l’affaire Mouzin. Ce n’est qu’en 2020 que la juge Sabine Khéris est parvenue à obtenir de Fourniret des aveux sur son rôle dans la disparition d’Estelle, mais le corps de l’enfant n’a jamais été retrouvé.
Monique Olivier condamnée, l’État reconnu responsable
En décembre 2023, Monique Olivier, ex-épouse et complice de Fourniret, a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 20 ans, notamment pour sa participation à l’enlèvement d’Estelle Mouzin. Mais pour la famille, cette condamnation ne suffisait pas : il fallait que l’État reconnaisse sa part de responsabilité.
« Les mots de la décision du tribunal sont durs et je pense qu’on peut espérer que les leçons seront tirées pour d’autres disparitions d’enfants », a commenté Me Seban.
À l’audience de juin, le procureur avait admis des « manquements du service public de la justice à l’égard de la partie civile », tout en estimant qu’il n’y avait pas de lien direct entre ces fautes et l’absence de mise en examen de Fourniret à l’époque. Mais pour le tribunal, l’accumulation d’erreurs est trop importante pour ne pas engager la responsabilité de l’État.
Un message fort pour les familles de victimes
Au-delà du cas d’Estelle Mouzin, cette décision résonne comme un signal fort pour toutes les familles confrontées à la lenteur ou à l’inefficacité de la justice dans les affaires de disparition. Elle interroge la capacité du service public à gérer des dossiers d’une telle ampleur et rappelle la nécessité d’allouer des moyens suffisants à la recherche des enfants disparus.
Vingt-deux ans après le drame, la reconnaissance de cette faute lourde apporte une forme de réparation morale à Éric Mouzin. Mais elle laisse ouverte une plaie béante : l’absence du corps d’Estelle, et le sentiment que des années d’erreurs ont privé la famille d’une vérité judiciaire plus rapide et plus complète.