Laurence Brunet-Jambu : « Mon activité consiste à protéger les victimes de violences sexuelles et à accompagner leur parole devant la justice. »

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La rédaction

Présidente de l’Association nationale des Comités de vigilance Alexis DANAN, engagée dans la protection des victimes de violences sexuelles, Laurence Brunet-Jambu alerte sur la difficulté persistante à faire reconnaître la parole des victimes dans l’espace judiciaire et institutionnel. Rencontre.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?

Mon parcours professionnel est celui de quelqu’un qui a eu la chance de travailler de manière éclectique : hôtellerie, milieu hospitalier, assistante familiale, conjointe collaboratrice. Et j’ose le dire, car je considère que c’est un métier à part entière : mère de famille nombreuse, avec six enfants. Puis est venu le monde associatif, dans lequel je suis engagée depuis quinze ans, dont dix en tant que présidente.

Quels sont vos défis pour l’année à venir ?

Aller chercher des partenaires, les convaincre de devenir des mécènes, face à la raréfaction des subventions publiques et au manque d’investissements de l’État.

De quoi êtes-vous la plus fière professionnellement ?

De la réussite de l’expérimentation du protocole Calliope, rendue possible grâce à la Fondation Kering. Mais aussi des retours des victimes qui ont été prises en charge.

Je suis également fière d’avoir pu mettre en place le programme Lanterne, un programme de prévention contre les violences et de promotion des relations égalitaires destiné aux enfants de 0 à 5 ans, ainsi que de constater les nombreuses demandes de formation émanant de la collectivité éducative.

Quel a été votre plus grand échec et quelle leçon en avez-vous tirée ?

L’échec qui me meurtrit est le manque de considération de la part du monde judiciaire : le refus de prendre en compte ce qu’est réellement une victime, et surtout ses besoins fondamentaux pour pouvoir avancer. Le refus, aussi, d’admettre que parfois tout se joue dans l’accompagnement. Heureusement, le regard des avocats a évolué. Je trouve cela revigorant, car dans notre pays, ils ont le pouvoir d’impulser le changement pour une meilleure prise en charge des justiciables.

Quelles ont été les « voix » inspirantes dans votre carrière et quels ont été leurs messages ?

Simone Veil est une source d’inspiration immense. Elle représente tant de choses pour ma génération. Il y a aussi mes grands-mères, qui m’ont aimée et m’ont donné ce que ma mère n’avait pas pu offrir : de l’amour. Un amour qui forge, un amour qui permet de vivre après des viols subis en tant que mineure. Et surtout Pierre, mon grand-père, qui m’a appris le courage, la force, l’amour de l’autre, et à regarder la vie tout simplement.

Avez-vous déjà subi ou observé du sexisme dans votre travail ?

Lorsque je travaillais à l’hôpital en tant qu’agent hospitalier, mais surtout lorsque j’ai été confrontée à des magistrats. On m’a appelée « l’autre », « la sorcière », dans les couloirs du tribunal de Rennes. Lors d’une audition devant un juge d’instruction, on m’a lancé : « Ça vous arrive de réfléchir ou vous le faites exprès d’être bête ? » Je demandais simplement que certaines questions me soient répétées, car elles n’avaient pas de sens pour moi et étaient, de fait, incompréhensibles.

Qu’est-ce qui vous motive le plus, et pourquoi ?

Les yeux d’enfants qui brillent de bonheur après des épreuves, car ils sont le symbole d’une résilience qui démarre. Les éclats de rire aussi, symbole d’un moment de bonheur où tout redevient possible.

Quelle est votre devise ?

« Croire que tout est possible et que le courage ne se présume pas, il se vit. »

Partagez avec nous des méthodes ou des conseils qui vous servent au quotidien.

La préparation : définir avec le plus de clarté possible un inconfort psychique, émotionnel ou physique. Poser l’intention de se mettre en lien avec cette part de soi. Si c’est physique, définir la forme, la texture, la couleur, le poids.

Le dialogue : commencer cette suite de questions, une par une, en prenant le temps, avec curiosité et sensibilité, sans attendre nécessairement une réponse intelligible, mais parfois seulement une sensation, une impression ou un sentiment. « Comment vas-tu ? »
« De quoi as-tu besoin ? » « Est-ce que quelque chose ou quelqu’un t’empêche de l’avoir ? » Et quelle que soit la réponse, lui dire : « Si jamais c’était moi qui t’en empêche, je suis désolé(e), je ne fais pas exprès, je ne sais même pas comment je fais, mais à partir d’aujourd’hui je décide d’arrêter, tu es libre de cela. » Important : maintenir tout du long l’intention de rester en lien, même si rien n’est perçu. L’intention peut suffire à créer une libération et un apaisement.

Citez une cause qui vous tient particulièrement à cœur et une association dont vous admirez le travail.

L’association El Michkat, à Ouarzazate, au Maroc, portée par Malika, une personne merveilleuse, tellement investie avec si peu, et qui accompagne tant d’enfants. C’est une chance immense de rencontrer de telles personnes.

Quelle est la particularité de votre domaine d’activité ?

La protection des victimes de violences sexuelles et l’accompagnement de leur parole devant la justice, afin qu’elle soit reconnue comme crédible.

C’est aussi aller chercher et transposer en France des programmes innovants permettant de prévenir et de réduire les violences, et d’éviter toute forme de récidive.

Quels sont le livre, le film et la série que vous recommanderiez actuellement ?

Jusqu’à la garde, en rediffusion, qui montre à quel point l’enfant témoin est en grande souffrance. L’Emprise, qui démontre la violence subie jour après jour, jusqu’à la tragédie humaine. Signalements, qui met en lumière les dysfonctionnements de la justice et de la protection de l’enfance.

Quelle est l’anecdote professionnelle que vous racontez rarement ?

Ma rencontre avec Marie‑Françoise Pradet. Elle a changé ma vie, m’a réconciliée avec ma foi et m’a permis de me retrouver, pour mieux me battre pour les enfants.

Quand avez-vous donné « de la voix » pour la première fois ?

Pour sauver ma nièce Karine, qui vivait des viols répétés au domicile de ses parents, et lui permettre d’obtenir justice. Elle est devenue notre fille. Aujourd’hui, elle avance dans la vie.

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