Langue et identité : la révolution de l’écriture inclusive face aux traditions

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« Noir·e, blanc·he, métis·se, porteur ou porteuse d’un handicap, mal ou bien né·e, Français·e ou non, hétérosexuel·le ou non, genré·e ou non… on leur dit : « Soyez patients, on fait déjà beaucoup, ne soyez pas trop gourmand·e·s.» Extrait de mon ouvrage « Le monde est injuste, et alors ? » Oui, vous l’avez bien vu, c’est de l’écriture inclusive. J’ai osé.

Un débat national autour de l’écriture Inclusive

En date du 30 octobre 2023, le Sénat français, à l’initiative d’une proposition de loi de la droite, a adopté une interdiction étendue de l’écriture inclusive. Les motifs de cette décision : la volonté de “protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive”. Les sénateurs argumentent que cette forme d’écriture, en substituant au masculin générique des attributs qui révèlent le genre féminin, éloigne le français de ses fondements traditionnels et nuit à la lisibilité d’un texte.

La mesure adoptée exclut l’utilisation de l’écriture inclusive dans tous les documents officiels. Elle va jusqu’à rendre irrecevables ou nuls des actes juridiques qui l’utiliseraient. Les mots grammaticaux tels que “iel”, contraction de “il” et “elle”, ou “celleux”, contraction de “celles” et “ceux”, sont désormais proscrits dans l’administration française.

Cette décision vient en contraste direct avec le mouvement social et culturel actuel qui promeut la visibilité et l’inclusion de toutes les identités de genre. L’écriture inclusive, avec ses points médians, ses doubles flexions, et ses accords de proximité, n’est pas qu’une affaire de grammaire, de typographie ou de coquetterie. C’est un enjeu de représentativité, une reconnaissance que le langage forge la réalité sociale et que chacun mérite de se voir reflété dans cette réalité.

Emmanuel Macron lui-même a pris position, arguant que le masculin, dans sa fonction neutre, suffit à l’inclusivité et que la langue française n’a pas besoin d’être chargée de points médians ou de tirets pour être compréhensible. Mais est-ce vraiment une question de lisibilité, ou est-ce une résistance au changement social que l’écriture inclusive cherche à catalyser ?

Les enjeux politiques et sociaux de l’écriture inclusive

Longtemps considérée comme une préoccupation périphérique, l’écriture inclusive fait désormais l’objet d’un débat sociétal majeur. Elle soulève la question de l’égalité des sexes à travers le prisme de la langue, un vecteur puissant de culture et d’idéologie.

Dans le paysage mouvant des débats linguistiques, l’écriture inclusive se dresse comme un phare de changement, cherchant à promouvoir une plus grande égalité des sexes à travers les subtilités de la langue française. Cette pratique vise à dépasser la règle non écrite selon laquelle le masculin domine en grammaire et en orthographe, offrant une visibilité équitable aux femmes ainsi qu’aux hommes dans le texte. Elle se manifeste par l’usage du point médian pour inclure les terminaisons féminines et masculines (comme “les citoyen·ne·s”), l’accord de proximité, ou encore des tournures neutres qui évitent de privilégier un genre sur l’autre. Alors que certains y voient une complexification inutile, pour d’autres, c’est un pas vers une représentation plus juste et inclusive dans notre société profondément marquée par le langage.

Mon engagement personnel pour l’égalité via le langage

J’ai, moi-même, longtemps relégué l’écriture inclusive au rang de combat mineur. Face aux luttes pour les droits des femmes, ajuster la langue française me semblait être futile.

Cependant, j’ai été frappée par une prise de conscience brutale. Les mots de mon enfance, “le masculin l’emporte sur le féminin”, ont résonné avec une nouvelle signification, révélant leur nature profondément ancrée et discriminatoire. Nous, femmes, serions-nous, inférieures aux hommes ? Avons – nous moins de valeur ?

Cette révélation a engendré un désir ardent de voir le monde changer pour mes filles. Je ne peux me résigner à ce que la génération future hérite de cette lourde et injuste tradition linguistique.

Dans cet élan, Clotilde et moi avons décidé d’intégrer l’écriture inclusive dans notre livre “Le monde est injuste, et alors ?” C’est notre manière de défier les normes et de contribuer à une société où le langage ne serait plus un vecteur d’inégalité. Comment aurions-nous parlé de féminisme, de racisme, de dynamique de classes, d’inclusion sans adopter l’écriture inclusive ?

Je ne souhaite plus que l’on enseigne aux jeunes filles et aux jeunes hommes que “le masculin l’emporte sur le féminin”. L’écriture inclusive n’est pas un caprice stylistique, c’est le reflet de notre engagement pour l’équité, et il est temps que cela soit reconnu et enseigné comme tel.

Une langue qui se doit d’être inclusive

À l’heure où l’égalité des sexes et la reconnaissance des identités non-binaires prennent une place centrale dans nos sociétés, le rejet de l’écriture inclusive par le Sénat semble aller à rebours de l’histoire. Malgré les controverses, des voix s’élèvent pour rappeler que la langue évolue avec la société. Refuser cette évolution serait ignorer les dynamiques sociales en cours.

L’écriture inclusive n’est pas une fin en soi, mais un moyen, un outil qui permet à tous de se sentir inclus dans le discours. L’adopter ne signifie pas renoncer à la clarté ou à la beauté de la langue française, mais l’adapter à une société qui se veut ouverte et inclusive.

Les mises en garde que j’ai reçues avant la publication de mon ouvrage résonnent avec l’action du Sénat. On prétend protéger la langue en la figeant, en refusant sa nature évolutive. Pourtant, j’ai choisi de conserver ce style d’écriture malgré les avertissements, parce qu’au-delà de l’accessibilité et de l’intérêt commercial, il y a une question de principe, d’éthique et de représentation. Parce que la langue nous appartient à tous, et que chacun a le droit de s’y voir et de s’y entendre.

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