Dans son rapport « Mettre fin au déni et à l’impunité face aux viols et agressions sexuelles », publié ce 24 septembre, le Haut Conseil à l’Égalité dresse un constat accablant. Alors que les plaintes pour violences sexuelles ont explosé depuis #MeToo, la justice française reste défaillante, laissant les victimes face à des procédures interminables, des classements sans suite massifs, un manque de moyens et une culture du viol profondément ancrée.
Plus de plaintes pour viols mais toujours peu de condamnations
Chaque année, 153 000 personnes majeures sont victimes de viol et 217 000 d’agressions sexuelles. 93 % des victimes majeures de viol sont des femmes, et 84 % des mineurs concernés sont des filles. Dans 97 % des cas, les mis en cause sont des hommes ou des garçons.
Entre 2016 et 2024, sous l’effet de la libération de la parole, les plaintes pour viols sur majeur·es ont été multipliées par trois, passant de 7 169 à 22 352. Celles pour agressions sexuelles ont doublé, de 8 401 à 17 486. Mais les condamnations pour viol n’ont progressé que de 30 %, passant de 1 017 à 1 300. « Les plaintes sont classées sans suite ou n’aboutissent pas à une condamnation, parce que le recueil des preuves n’est pas fait dans de bonnes conditions », relève Bérangère Couillard, présidente du HCE auprès de l’AFP.
En 2022, 126 000 femmes ont déclaré avoir subi un viol ou une tentative de viol. Pourtant, seules 19 155 plaintes ont été enregistrées, soit 12,5 % des victimes. En 2023, sur 20 811 plaintes, 17 177 mis en cause ont été identifiés, mais 11 527 affaires ont été classées sans suite par les parquets, soit un taux de classement de plus de 67 %. Parmi elles, 10 828 ont été jugées « non poursuivables » et 541 ont été écartées pour « inopportunité des poursuites ». Au final, seules 5 593 affaires ont donné lieu à des poursuites judiciaires, dont 5 047 transmises à un juge d’instruction.
Une culture du viol toujours prégnante
« Comment prendre la mesure de la gravité de ce qui a été vécu et endosser la qualité de victime lorsque la société renvoie régulièrement le message qu’un viol, ce n’est pas si grave » interroge le rapport.
Le HCE rappelle que le « mythe du vrai viol » reste dominant, celui d’un acte brutal dans l’espace public avec des traces visibles, alors que la plupart des violences sexuelles sont commises dans des contextes connus de la victime.
D’après une enquête Ipsos/Mémoire traumatique et victimologie, 19 % des Français·es estiment que « beaucoup de femmes disent non mais cela veut dire oui ». 21 % considèrent que « les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées ». Un·e sur quatre ne reconnaît pas certains actes de pénétration non consentis comme des viols, y compris dans le cadre conjugal. 22 % des femmes interrogées estiment savoir moins que les hommes ce qu’elles veulent sexuellement.
Ces représentations archaïques entretiennent la confusion entre sexualité et violence et aggravent les difficultés des victimes à être reconnues, certaines en venant à considérer des actes non consentis comme relevant de la sexualité et non de la violence.
Les conséquences psychotraumatiques des victimes
Le rapport insiste sur les conséquences psychotraumatiques, qui expliquent les comportements souvent reprochés aux victimes.
La sidération concerne environ 70 % des victimes de viol. Elle provoque un état de tétanisation qui empêche toute réaction physique. La dissociation traumatique, quant à elle, conduit la victime à se couper de son corps et de son ressenti, parfois pendant des années. Plus de 80 % des victimes présentent un risque de développer un état de stress post-traumatique chronique, et 38 % souffrent de troubles amnésiques. 72 % des femmes adultes ayant subi un viol déclarent des séquelles psychologiques importantes.
Ces troubles sont encore mal compris dans les procédures judiciaires, ce qui alimente la mise en doute de la parole des victimes et l’incompréhension de leur absence de résistance.
Des moyens dérisoires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles
Le budget consacré à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles représente seulement 0,04 % des dépenses de l’État. La Fondation des femmes estime qu’il devrait atteindre 0,5 %, soit entre 2,6 et 4,5 milliards d’euros.
Depuis les années 1970, ce sont surtout les associations féministes qui assurent l’accueil et l’accompagnement des victimes. La Fédération Nationale Solidarité Femmes, le Planning familial ou encore le Collectif Féministe Contre le Viol ont ouvert les premiers lieux d’accueil spécialisés. La ligne « Viol Femmes Informations », créée en 1986, reste aujourd’hui une ressource essentielle. Mais faute de financements pérennes, ces structures travaillent dans la précarité et ne peuvent répondre à toutes les demandes.
Les 61 recommandations du HCE
Pour mettre fin à l’impunité, le Haut Conseil avance 61 recommandations. Il appelle à renforcer l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) et à lancer des campagnes massives de sensibilisation. Il propose de créer une unité médico-légale dans chaque département d’ici cinq ans, avec recueil obligatoire de preuves même sans plainte. Il recommande d’étendre à toutes les violences sexuelles les dispositifs existants contre les violences intrafamiliales, comme les ordonnances de protection, les référent·es VIF en gendarmerie et les pôles spécialisés dans les tribunaux. Il demande de garantir l’aide juridictionnelle sans condition de ressources dès le dépôt de plainte et d’assurer des financements triennaux aux associations après leur première année d’activité.
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