Élu le 8 mai au Vatican, le cardinal américain Robert Francis Prevost (Léon XIV) hérite d’un chantier majeur : la lutte contre les abus sexuels sur mineurs. Les critiques, elles, pointent l’insuffisance des réformes menées jusqu’ici.
Les violences sexuelles au cœur des préoccupations
Longtemps étouffées, les violences sexuelles sur des enfants perpétrées par des membres du clergé s’imposent aujourd’hui comme un enjeu central pour l’Église catholique. Lors d’une réunion préparatoire au conclave, les cardinaux ont placé cette question aux côtés de l’évangélisation et du dialogue interreligieux parmi les « sujets particulièrement importants pour l’avenir de l’Église ».
Une position saluée par Anne Barrett Doyle, cofondatrice de l’ONG américaine BishopAccountability : « L’Église mondiale, avec ses paroisses, écoles, hôpitaux et orphelinats, s’occupe de dizaines de millions d’enfants. L’obligation la plus sacrée du prochain pape doit être de les protéger contre les abus. Leur sécurité est en jeu, tout comme l’autorité morale de l’Église, » a-t-elle rappelé auprès de l’AFP.
Le bilan des initiatives prises par le pape François contre les violences sexuelles
Le pape François, décédé le 21 avril à l’âge de 88 ans, avait placé cette lutte au cœur de son pontificat. Dès 2013, il prend les rênes d’une institution secouée par des révélations en série. Un épisode marquant survient en 2018, lors d’un voyage au Chili. Mal informé, il prend la défense d’un évêque accusé d’avoir couvert les crimes d’un prêtre. Devant la polémique, il présente des excuses publiques et dépêche un enquêteur. L’enquête débouche sur des démissions et suspensions historiques.
Le pape François défroque notamment le cardinal américain Theodore McCarrick, reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineurs. Une première dans l’histoire de l’Église.
Il convoque ensuite un sommet inédit au Vatican en 2019, qui donne lieu à une série de mesures : levée du secret pontifical sur les violences, création de plateformes d’écoute dans les diocèses, et surtout, publication du texte Vos Estis Lux Mundi (« Vous êtes la lumière du monde »), rendant obligatoire le signalement des abus au sein de l’Église.
« Ce que nous attendons du prochain pape, c’est une action significative »
Ces mesures ne convainquent cependant pas les associations de victimes. Anne Barrett Doyle critique un manque de volonté politique : « Ce que nous attendons du prochain pape, c’est une action significative, pas plus de rhétorique. Nous avons besoin qu’il adopte une loi universelle de l’Église démettant définitivement de leurs fonctions publiques tous les agresseurs avérés d’enfants. »
Elle réclame également la publication des noms des prêtres reconnus coupables selon le droit canon. Le texte Vos Estis Lux Mundi, prorogé en 2023, reste en deçà des attentes : il n’impose pas de signalement aux autorités civiles, sauf obligation légale locale, et le secret de la confession est maintenu.
« Il n’obligeait pas à un contrôle externe, ni à une transparence envers le public », déplore-t-elle. « Et il n’impliquait même pas de signalement aux forces de l’ordre. C’était, en quelque sorte, une continuation de ce que nous avons toujours eu. »
Vers un conclave sous surveillance
En 2021, le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) estimait à 330 000 le nombre de mineurs victimes depuis 1950 en France. Un chiffre accablant. Pourtant, le pape François ne recevra jamais ses auteurs, et ne reconnaîtra pas le caractère systémique des violences.
Début 2025, le réseau SNAP (Survivors Network of those Abused by Priests) accuse le Vatican de continuer à dissimuler des documents sensibles, qualifiant le signalement obligatoire de « demi-mesure ».
Anne Barrett Doyle s’est rendue à Rome pour porter ses revendications, tandis que SNAP a lancé le site ConclaveWatch.org, destiné à surveiller l’attitude des cardinaux sur le sujet.
« Les trois derniers papes ont tous couvert les abus sexuels du clergé. Nous ne pouvons pas nous permettre un quatrième » qui fasse de même, peut-on lire sur la plateforme.
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