La justice reconnaît une faute grave : Khadija, victime de violences conjugales, n’a jamais été convoquée à son propre procès. Une décision inédite qui soulève de lourdes questions sur la protection des victimes en France.
Une erreur d’adresse aux lourdes conséquences
Mercredi, le tribunal judiciaire de Paris rend une décision inédite : il condamne l’État à verser 8.000 euros à Khadija, une femme victime de violences conjugales, pour n’avoir pas pu assister au procès de son ex-conjoint. En cause, une convocation envoyée à une mauvaise adresse et aucune tentative de contact alternative, alors que les autorités disposaient de son numéro de téléphone. « L’absence de délivrance de la citation à la dernière adresse déclarée constitue à elle seule une faute lourde », tranche le tribunal.
En 2017, Khadija dépose plainte contre son ex-compagnon pour viols, actes de torture et barbarie. Après des années d’instruction, le procès se tient en 2020 devant la cour d’assises de la Haute-Vienne… mais sans elle. Elle apprend la tenue du procès en lisant un article dans la presse. Malgré ses demandes répétées, l’audience n’est pas renvoyée. Résultat : l’accusé est condamné à huit ans de prison pour violences, mais relaxé pour les viols. Cette absence pèse lourd sur l’issue du jugement. « Comment condamner quelqu’un pour viol conjugal quand on n’a pas de victime ? », interroge son avocate, Me Pauline Rongier.
Une justice muette, un combat de quatre ans
Khadija entame alors un long combat judiciaire pour faire reconnaître la défaillance de l’institution. Elle saisit la justice administrative, puis la Cour de cassation, qui reconnaît en 2021 que les démarches nécessaires pour la convoquer n’ont pas été engagées. Mais il faut attendre 2024 pour qu’un tribunal reconnaisse enfin la responsabilité de l’État. « Personne n’a cherché à la contacter autrement, alors que la police avait son numéro », rappelle Me Rongier à l’audience. La justice admet qu’elle aurait pu — et dû — faire mieux.
La décision du tribunal est saluée comme un tournant : « Cette décision inédite intervient après quatre années de bataille judiciaire pour faire reconnaître la grave injustice subie par Khadija », déclare Me Rongier. Le tribunal pointe aussi la responsabilité du parquet, qui aurait pu faire appel du verdict pour permettre la tenue d’un nouveau procès. C’est tout l’appareil judiciaire qui est ici mis en cause, de l’instruction à la tenue du procès. Un cas qui risque de faire jurisprudence, à l’heure où la France affirme vouloir mieux protéger les victimes de violences sexistes et sexuelles. Pour cet « oubli », l’état est condamné à indemniser Khadija, à hauteur de 8.000€ de dommages et intérêts pour « faute lourde ».
En indemnisant Khadija pour le préjudice subi, la justice envoie un message fort : les dysfonctionnements administratifs ne peuvent plus passer inaperçus, surtout quand ils concernent les droits des victimes. La reconnaissance d’une « faute lourde » par le service public de la justice constitue une étape majeure dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Pour Khadija, cette victoire judiciaire ne remplace pas un procès équitable, mais elle représente une forme de réparation. « L’État m’a laissée seule face à mon agresseur. Aujourd’hui, il reconnaît son erreur », dit-elle, en écho à toutes les victimes oubliées.