Malgré ses plaintes, l’utilisation de son téléphone grave danger et l’interpellation de son ex-compagnon, Inès Mecellem a été tuée à 25 ans. Sa famille et les associations dénoncent des défaillances graves de la police et de la justice. Gérald Darmanin a saisi l’Inspection générale de la justice.
« Elle a fait tout ce qu’elle pouvait »
En déposant plusieurs plaintes, en utilisant son téléphone grave danger (TGD), Inès Mecellem avait « tout fait » pour alerter sur les violences qu’elle subissait. Son meurtre à Poitiers, deux jours après l’interpellation de son ex-compagnon aussitôt relâché, suscite colère et interrogations. « Pour moi, il y a aujourd’hui deux meurtriers. Celui qui est en fuite mais aussi le système policier et judiciaire, avec toutes ses défaillances. Sa mort aurait totalement pu être évitée », affirme à l’AFP Mehdi Mecellem, frère de la victime.
Le 8 septembre, la jeune femme de 25 ans est retrouvée poignardée de plusieurs coups de couteau à son domicile. Le suspect, un réfugié afghan né en 1989 dont elle s’était séparée, est recherché pour assassinat. Deux jours plus tôt, alors qu’Inès se promenait en centre-ville, elle avait utilisé son TGD, dispositif permettant d’alerter rapidement les forces de l’ordre, se sachant traquée. « Un équipage de police se déplaçait, interpellait l’individu sans qu’il soit placé en garde à vue », a relaté la procureure de la République à Poitiers, Rachel Bray, sans préciser les raisons de cette décision.
Selon le parquet, la jeune femme avait déposé une première plainte le 10 juillet, dont des extraits ont été publiés samedi par Le Monde. Elle y faisait état d’étranglements et de viols récurrents. Elle retourne au commissariat le 17 juillet puis les 13, 19 et 28 août, se disant harcelée et menacée de mort.
« Trahie » par le système
L’avocate de la famille, Me Pauline Rongier, dénonce « une défaillance majeure des services de police et des autorités judiciaires », estimant que l’attribution du TGD, le 23 juillet, était « une mesure de protection insuffisante ». « La mort d’Inès n’est pas seulement le résultat de la violence d’un homme, elle est aussi celui d’un système qui n’a pas su la protéger », a-t-elle ajouté. « À quoi servent tous ces outils de protection mis en place par l’État si les victimes continuent de vivre dans la terreur, et de mourir ? », abondent des membres de collectifs féministes, présents à la marche blanche qui a rassemblé un millier de personnes samedi à Poitiers.
Pour la famille, la colère se mêle à la douleur. « Ma sœur a eu le courage de traverser à de nombreuses reprises la porte du commissariat. Elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour alerter sur le danger qu’elle courait. Et le constat est que la police et la justice l’ont trahie », lance son autre frère, Yacine.
Le parquet a saisi l’Inspection générale de la police nationale et « des auditions et des analyses (…) sont en cours », selon une source proche du dossier. « On n’a pas bien identifié quelque chose, soit le danger a été sous-estimé, soit la transmission des informations au service qui suit la procédure n’a pas été correctement faite », a indiqué cette source à l’AFP. Dimanche, Gérald Darmanin a annoncé la saisine de l’Inspection générale de la justice pour faire « toute la lumière (…) sur cette horrible affaire ».
Des moyens encore jugés « insuffisants »
En 2017, Emmanuel Macron avait fait de la protection des femmes l’une de ses priorités, le Grenelle des violences conjugales débouchant en 2019 sur un plan d’action. Le budget a augmenté depuis mais pas assez, selon les associations. En 2023, la Fondation des femmes a estimé les besoins entre 2,6 et 5,4 milliards d’euros, contre moins de 200 millions dépensés cette année-là selon elle. Début juillet, un rapport du Sénat a épinglé les montants « dérisoires » alloués à cette cause.
« Des moyens ont été mis en œuvre mais ça reste très insuffisant, tellement on partait de loin », souligne Mine Günbay, directrice de la Fédération nationale solidarité femmes. Elle insiste sur la nécessité de renforcer encore la formation des policiers et magistrats et de créer davantage de places d’hébergement pour les victimes souhaitant quitter leur foyer. « On ne peut pas avoir dit aux femmes +on vous croit+, +parlez+, en érigeant cette question en grande cause nationale, et se retrouver systématiquement, année après année, avec les mêmes mécaniques de féminicides », déplore-t-elle, rappelant que dans environ 40% des cas, la victime avait déjà porté plainte contre son agresseur.
En 2023, 96 femmes ont été victimes d’un féminicide conjugal en France, un chiffre en baisse de 19% par rapport à 2022, selon le dernier bilan du ministère de l’Intérieur.
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