Sabira Razaali, entrepreneure franco-malgache, a vu sa vie basculer après avoir demandé le divorce d’un mari proche du pouvoir. Harcelée, arrêtée arbitrairement, sous le coup de multiples procédures, elle a quitté Madagascar pour la France, d’où elle poursuit son combat.
Son histoire personnelle résonne avec la nouvelle crise politique qui secoue actuellement Madagascar : les manifestations menées par la jeunesse contre les pénuries et la corruption qui gangrène le régime ont conduit à la fuite du président Andry Rajoelina et de son principal conseiller Mamy Ravatomanga, ainsi qu’à la prise du pouvoir par l’armée.
Visée par un mandat d’arrêt international lancé par le précédent régime, Sabira Razaali dénonce un système corrompu, patriarcal et instrumentalisé par les élites politiques. Rencontre exclusive pour The Women’s Voices.
Pouvez-vous revenir sur le point de départ de votre affaire ?
Depuis que j’ai décidé de divorcer de mon époux à Madagascar, tout s’est un peu déchaîné contre moi. Mon mari et sa famille étant très proches de l’ancien pouvoir, je me suis retrouvée au milieu d’un tourbillon de choses que je n’avais pas prévues, simplement parce que les personnes proches du régime s’en sont prises à moi, à mon fils.
J’ai assigné mon mari en divorce après plusieurs tentatives pour trouver une solution à l’amiable. Et à partir du moment où il a été assigné, j’ai dû faire face, d’un coup, à une plainte. Je me suis retrouvée embarquée par la police économique. Mon avocat m’a dit tout de suite : « Madame, quand c’est la police économique, c’est automatiquement politisé. » Donc c’était très grave.
J’ai été emmenée dans leurs locaux, auditionnée avec mon fils aîné. À la fin de la journée, après une audition sans fondement, un officier est venu me dire : « Madame, je suis très honteux, mais nous avons reçu des ordres de très haut et nous sommes obligés de vous mettre en garde à vue. » On nous a enfermés, et dans la nuit, nous avons reçu un appel : « Vous pouvez être libérés tout de suite si vous venez signer les documents que nous avons préparés. » J’ai refusé.
J’ai eu la chance de pouvoir joindre l’ambassade, particulièrement le premier secrétaire à l’époque, qui est venu nous voir le lendemain matin. Malgré ses efforts, nous n’avons pu rencontrer le ministre de la Police qu’en fin de journée et c’est là que j’ai retrouvé mon mari. Je voulais divorcer, et c’est le ministre de la Police qui s’occupait de mon divorce. Il m’a simplement dit : « Madame, je vous engage à trouver une solution, sans quoi samedi ou lundi, vous serez déférée. » Et chez nous, être déféré, c’est automatiquement un mandat de dépôt.
Avez-vous encore confiance dans les institutions de Madagascar ?
Telles que je les ai connues, non. La justice est gangrénée. Elle ne marche qu’à la corruption et aux relations. Mon ex-époux avait des appuis puissants, notamment un conseiller très connu, proche de l’ancien président. La justice chez nous, malheureusement, est très corrompue.
Pensez-vous que cela a été plus dur parce que vous êtes une femme ?
Très certainement. Être une femme ne facilite pas les choses. Et puis, vous insultez l’ego d’un homme. L’idée, c’était de tout faire pour me briser, détruire ma réputation, mon travail et l’œuvre de ma vie, et me faire revenir la tête basse et sans rien, surtout. C’est aussi un exemple donné aux autres femmes qui auraient des velléités de divorcer, de ce qui les attend. Mais je souhaiterais leur adresser un message de courage et d’espoir : qu’elles osent, justement en ayant vu ce que j’ai vécu, s’affranchir d’un système dépassé et patriarcal, parce qu’elles peuvent y arriver. Que leur vie et leur liberté leur appartiennent.
Comment percevez-vous le mouvement de contestation actuel à Madagascar ?
Au tout début, le mouvement est parti avec des demandes simples : l’électricité et l’eau, qui sont un vrai problème depuis des mois, voire des années. Et puis, le mouvement s’est étendu à des demandes beaucoup plus générales : le droit à une justice, la fin de la corruption, un système équitable… des choses normales dans une démocratie et que nous n’avions malheureusement plus. Les manifestants ont dénoncé la corruption, des noms ont été donnés. Et je pense qu’aujourd’hui, nous aurons la possibilité d’aller au bout de ces recherches et de retrouver les personnes qui ne faisaient pas fonctionner le pays comme il aurait dû l’être.
Qu’espérez-vous pour Madagascar aujourd’hui ?
C’est un immense espoir qui se lève. Pour la population, pour moi, pour les jeunes. D’avoir véritablement un pays libre, un pays démocratique où la justice serait respectée, où il n’y aurait plus de corruption. Où des besoins simples comme l’électricité et l’eau seraient rétablis, où il n’y aurait pas de corruption dans les appels d’offres, que ce soit dans les affaires, la santé, l’éducation ou le social.
