Les Janes ont aidé plus de 11 000 femmes à avorter illégalement dans les années 70. Trois ans après la révocation de Roe v. Wade, les « Janes », militantes historiques du droit à l’avortement, dénoncent un retour en arrière tragique aux États-Unis.
Une vie entière de lutte pour les droits reproductifs
« J’étais anéantie », confie Abby Pariser, 80 ans, depuis sa maison de Huntington, banlieue paisible de New York. Comme des dizaines d’autres femmes aujourd’hui retraitées, elle s’est engagée dans les années 60 pour le droit à l’avortement, bien avant que la Cour suprême ne le légalise.
Étudiantes, mères ou jeunes travailleuses, elles se font appeler simplement « Jane ». Leurs armes : un téléphone anonyme, des rendez-vous clandestins, et la volonté d’aider coûte que coûte.Avant l’arrêt historique Roe v. Wade en 1973, l’IVG est illégale dans presque tous les États. Les « Janes » se mobilisent à Chicago pour offrir une alternative humaine et sûre à des femmes souvent désespérées.
« Il y avait dans les hôpitaux publics un service entier dédié aux femmes blessées par des avortements illégaux », se rappelle Laura Kaplan, 77 ans, ancienne membre du collectif et autrice d’un livre sur le sujet. Certaines patientes meurent de septicémie, d’autres sont victimes d’agressions sexuelles ou de maltraitance par des faiseurs d’anges.
L’accès à l’IVG coûte cher – jusqu’à 500 dollars – quand un loyer moyen est de 150. Une aubaine pour des réseaux mafieux et des médecins peu scrupuleux. Face à cette violence, les « Janes » négocient avec des praticiens dignes de confiance, puis, faute de mieux, apprennent à pratiquer elles-mêmes les avortements. En tout, elles aident plus de 11 000 femmes, pour une somme modeste ou symbolique. « Les femmes payaient ce qu’elles pouvaient », témoigne Kaplan.
En mai 1972, sept « Janes », dont Abby Pariser, sont arrêtées lors d’une descente de police. « C’était effrayant », raconte-t-elle. « Mais ce qui les a vraiment déstabilisés, c’est de découvrir que nous étions toutes des femmes. » Malgré la peur et la menace de prison, le groupe continue à agir, convaincu de faire ce qu’il faut.
Le documentaire The Janes, diffusé sur HBO, relance l’intérêt pour leur engagement. Avec émotion, Sakinah Ahad Shannon, 77 ans, ancienne bénéficiaire devenue militante, se souvient : « C’était inconcevable que cela puisse revenir, qu’on puisse perdre ce droit. »
2022 : un retour brutal en arrière
Le 24 juin 2022, la Cour suprême américaine annule l’arrêt Roe v. Wade. Depuis, plus de 20 États interdisent ou restreignent sévèrement l’accès à l’avortement. Des milliers de femmes doivent voyager dans d’autres États, ou recourir de nouveau à des pratiques illégales. Donald Trump, fier d’avoir nommé les juges à l’origine de ce revirement, poursuit l’offensive en attaquant désormais la pilule abortive.
« Nous avons été naïves », admet Abby Pariser, en dénonçant la radicalisation de l’opposition anti-avortement. « Ce sont des gens qui tiraient sur les médecins et les tuaient dans leur clinique. » Malgré l’effondrement des garanties légales, les « Janes » restent optimistes : les jeunes générations ont aujourd’hui plus de moyens, plus de solidarité, et une mémoire du combat. « Les femmes refusent de lâcher prise », assure Sakinah Ahad Shannon. « Elles disent non, comme nous avons dit non il y a 50 ans. »
À lire aussi : https://www.thewomensvoices.fr/news/ivg-le-senat-va-voter-pour-rehabiliter-les-femmes-condamnees-pour-avoir-avorte-avant-1975/