Comptes Fisha : la face cachée du cyber-harcèlement

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La rédaction

Connus sous le nom de “comptes Fisha”, ce phénomène est apparu sur les réseaux sociaux. Des hommes partagent sur des comptes, “affichant” des photos intimes de femmes et de filles en mentionnant leur identité mais aussi leurs établissements scolaires, leurs adresses etc. Leurs auteurs restent très souvent impunis. The Women’s Voices a interrogé Shanley Clemot McLaren, co-fondatrice de l’association #StopFisha, qui lutte contre ces cyber-violences pour mieux comprendre de quoi il s’aigt.

Comment êtes vous arrivée à créer l’association #StopFisha ?

C’est une longue histoire, #StopFisha s’est créée en avril 2020. Pendant le premier confinement, on a constaté une augmentation du temps passé en ligne mais surtout des cyber-violences. Ma petite sœur, âgée de 17 ans, est tombée sur des comptes Fisha. Je n’en n’avais personnellement jamais entendu parler, et en découvrant les comptes je suis tombée de haut. J’ai vu des comptes nommés Fisha, qui affichaient des photos et des vidéos intimes, volées ou prises à l’insu de la victime, accompagnées de leurs informations personnelles. On pouvait connaître le nom, le prénom, l’école, l’adresse, les coordonnées des parents etc.

J’ai été très choquée, et j’ai évidemment tout signalé, c’est là que j’ai réalisé que rien n’était fait, rien n’était supprimé, et qu’il y avait un réel problème.

J’ai lancé une alerte sur les réseaux sociaux, et j’ai été rejoint par de nombreuses personnes, des collégiennes, des lycéennes, des étudiantes, des salariés mais aussi une avocate qui nous a apporté son aide.  Aujourd’hui, nous sommes vraiment nombreux dans l’association.

Quel est l’ampleur de ce phénomène sur les réseaux sociaux ?

Ce que nous avons remarqué dès le premier confinement c’est que ces comptes étaient très présents sur l’application Snapchat, qui est le premier terrain. Mais au final, nous avons réalisé que tous les réseaux sociaux étaient concernés.

Mais nous avons été très choqués par ce qui se passait sur Télégram, un réseau social un peu moins connu, mais où les comptes Fisha sont très présents, et restent impunis. Le plus gros compte Fisha que nous y avons vu réunissait 233.000 membres. Lorsqu’une victime retrouve ses photos sur ce groupe là, elle est à la vue de 233.000 personnes, avec ses coordonnées et ses photos accessibles à tous. C’est extrêmement grave et dangereux.

L’autre problème c’est que ces contenus ne restent pas sur ces comptes là. Certains membres gardent les contenus, les font voyager sur d’autres sites, et malheureusement ils finissent souvent sur des sites pornographiques. C’est vraiment très compliqué de retirer un contenu d’un site pornographique, car la plupart ne répondent pas aux sollicitations des victimes.

Ces actions sont souvent qualifiées de « Revenge Porn », vous vous battez contre ce terme, pourquoi ?

C’est un terme que je trouve très culpabilisant.

Revenge signifie vengeance en anglais, et sous-entend que la victime a commis un acte horrible en premier lieu. La victime n’est pas responsable, c’est illégal de diffuser les contenus intimes de quelqu’un. La victime n’est pas la source de cet agissement là, ce n’est pas à elle d’être responsable. Je trouve qu’on blâme déjà trop les victimes, et qu’il faut bannir ce terme. Il y a aussi le mot « porn » qui veut dire pornographie, et ces contenus ne sont pas de la pornographie.

Parfois ce sont juste des photos d’un dos par exemple, qui vont être hyper sexualisées, c’est la symbolique apportée à ces photos le problème.

Les victimes n’ont pas envie non plus que leur contenu intime soit forcément pornographique. Le terme qu’on utilise aujourd’hui pour ne pas culpabiliser les victimes et pour vraiment refléter la vérité c’est « diffusion de contenu intime non-consenti ».

Shanley Clemot McLaren

Comment réagir si on découvre que nos photos ou que celle d’une connaissance sont diffusées sur ce genre de comptes ?

Il est d’abord très important de faire un signalement directement sur le réseau social concerné, le problème c’est que les réseaux sociaux ne répondent pas forcément. Il faut aussi signaler le contenu sur la plateforme E-enfance, qui est une association qui a le pouvoir de supprimer des contenus en ligne. Vous pouvez également vous tourner vers nous. Nous récoltons aussi les signalements. Enfin, il y a PHAROS, la plateforme du gouvernement pour signaler des contenus illicites en ligne. Le problème aujourd’hui avec PHAROS, c’est l’absence de la mention de cyber-violences de genre. Lorsque l’on se rend sur la plateforme, il n’y pas d’onglet spécialisé pour signaler la diffusion de contenus intimes. Il n’y a aucune catégorie pour ce genre de violences sexistes et sexuelles.

Que fait la justice face à ce cyber-harcèlement ?

Aujourd’hui, quand une enquête est menée par le système judiciaire, ils essaient de communiquer avec les plateformes pour demander des informations sur les auteurs.

Mais dans le cas de Télégram, la plateforme ne répond pas au système judiciaire, et c’est extrêmement grave. C’est le reflet d’un certain nombre de dysfonctionnements mais aussi de l’impunité dont peuvent jouir les auteurs de ces cyber-violences. Ils arrivent que des victimes confrontent leurs agresseurs, en demandant la suppression de contenus où elles apparaissent, et se voient répondre « au pire porte plainte, la police ne fera rien ».

Pourtant, on sait qu’il est possible pour la justice de faire plus. Pendant le premier confinement, nous avons été surprises de recevoir beaucoup de soutien de femmes Coréennes. En Corée du Sud, il existait des groupes Fisha sur Télégram. L’affaire a été appelée « l’affaire nine room », il y avait 9 « salles » virtuelles hiérarchisées, et plus on montait dans ces « salles », plus ce qui était posté était grave et violent. jusqu’à des vidéos de mutilations sexuelles. La Justice coréenne a décidé d’agir et a retrouvé les cyber-agresseurs et les a arrêtés, ainsi que leurs activités. Aujourd’hui, on se demande pourquoi la justice française ne peut faire de même.

Comment l’Etat peut se mobiliser face à ce phénomène dangereux ?

En France nous sommes très en retard sur les questions des cyber-violences et du cyber-sexisme. Nous le constatons chaque jour sur internet, pourtant nous ne voyons pas de condamnations.
En ce moment, une loi est débattue au parlement européen, la loi DSA (Digital Services Actes), qui va venir bouleverser notre utilisation des réseaux sociaux et d’internet.

Elle contient un volet concernant la modération des cyber-violences. Avec plusieurs associations européennes luttant contre le cyber-sexisme nous avons déposé un amendement, l’article 24-B. Il permettrait de sanctionner d’avantage les sites pornographiques qui diffusent ces contenus non-consentis. C’est actuellement débattu et nous espérons que nos parlementaires vont réagir.

Votre association a eu un impact important à l’étranger, quel développement envisagez-vous ?

L’association est en effet présente dans plusieurs pays et nous souhaitons apporter de l’aide dans le monde entier.
Nous avons été contacté par des militantes et des victimes. Nous avons constaté l’explosion des comptes Fisha en Inde, au Maroc, et nous avons fait front toutes ensemble. Malheureusement, le cyber-sexisme n’a pas de frontière. Aujourd’hui, moi je suis à Berlin avec une autre co-fondatrice, une autre est au Liban, des petits comités #StopFisha se créent en Turquie et en Belgique. Nous essayons vraiment de nous étendre là où le phénomène est présent.

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